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Ce parc, entouré de murailles épaisses de six mètres de haut, a une contenance d’environ un hectare : une avenue de robiniers lui fait une ceinture sur les deux faces où il n’y a pas de constructions ; des pins gigantesques, des thuyas, des cèdres noirs, des acacias et des saules au feuillage transparent y forment une futaie élevée, on y rencontre de distance en distance des rochers artificiels et des bassins en rocaille qu’on passe sur des ponts de bois rustiques, mais sous lesquels il n’y a pas d’eau, ni de conduits pour en amener.

Les fleurs annuelles de pleine terre sont presque inconnues à Pékin : c’est en pots ou dans de vastes caisses placées dans les vestibules des appartements que les Chinois du Nord cultivent toutes ces merveilles du règne végétal si appréciées de nos horticulteurs. Le vent du nord-ouest souffle souvent avec violence dans les plaines de la Province impériale, et il apporte avec lui de la Mongolie des tourbillons d’une poussière jaune, contenant des parcelles minéralogiques, qui la font s’attacher aux fleurs, trop délicates pour supporter leur contact brûlant. La poussière de Mongolie est un véritable fléau à Pékin, et, quand les rafales soufflent pendant des semaines entières et ne sont pas entremêlées de pluies bienfaisantes, les habitants, les habitations et les végétaux semblent avoir été roulés dans la farine. Aussi le potager du Tsing-Kong-Fou, situé derrière les communs, ne contient-il que des légumes grossiers et rustiques, les plus délicats demandant à être abrités sous des toits de paille ou des cloches de verre.

La merveille du parc de la légation de France est l’enclos des Antilopes Houan-yang (22).

Le paysage en est très-tourmenté : il contient des rochers, des vallons, des coteaux, des précipices, des forêts habilement ménagés par le décorateur chinois ; c’est un monde en miniature qui rappelle un peu les boîtes de joujoux de Nuremberg.

Un grand aigle noir, bien vivant malgré la perte de sa liberté, est attaché par la patte à une chaîne de fer sur le sommet du rocher le plus abrupte : autour de lui bondissent une douzaine de ces charmantes antilopes Houan-yang[1] (mouton jaune) au pelage fauve clair et dont les petites cornes noires se retournent élégamment en spirales derrière la tête. Ainsi le roi des oiseaux est condamné à assister enchaîné aux ébats de ces timides animaux dont il fait sa proie la plus ordinaire dans les steppes de Mandchourie. Il est vrai que tout roi qu’il soit, celui-ci a un air très-débonnaire, et paraît avoir pris en philosophe son parti de ce nouveau supplice de Tantale.

Cette description du palais de la Légation de France à Pékin, donnera aux lecteurs une idée exacte des Fou chinois, qui sont tous construits sur un modèle analogue. Les planches des pages 127 et 128, représentant les détails d’architecture du Yang-Kong-Fou, palais de la légation anglaise, achèveront de leur expliquer la disposition intérieure de ces habitations.

Les légations de Russie, d’Angleterre et de France sont situées dans le même quartier de la ville tartare, à peu de distance les unes des autres.

En suivant à gauche la rue de Toûn-thian-mi-thian, on traverse un canal près duquel est la légation russe ; en remontant ce canal, et du même côté, on rencontre la légation anglaise dont les bâtiments sont plus grandioses, l’architecture plus soignée qu’au Tsing-Kong-Fou, mais où il n’y a pas de parc, ni de place pour en créer un.

Ainsi l’installation de la diplomatie étrangère dans la capitale du Céleste Empire était devenue un fait accompli, et malgré les sourdes résistances du gouvernement chinois les trois plus grandes puissances de l’Europe résidaient définitivement à Pékin.

Les négociations politiques s’en ressentirent par la facilité et la promptitude avec lesquelles les plus graves décisions furent prises ; auparavant il fallait des années pour que les ministres européens habitant à l’autre extrémité de l’Empire obtinssent des réponses dénaturées le plus souvent par la mauvaise volonté des vice-rois de Canton et de Nankin ; aujourd’hui on peut s’adresser directement et sans intermédiaire au pouvoir impérial.


RÉVOLUTIONS DE PALAIS ET NÉGOCIATIONS POLITIQUES.

(Mars 1861. — Mai 1862.)


Mort de l’empereur Hien-Foung. — Révolution de palais. — Régence des deux impératrices. — Le prince de Kong, premier ministre. — Les princes de Y et de Tchun s’étranglent dans la prison honorable. — Exécution publique du grand mandarin Sou-Chouen. — Négociations en faveur des chrétiens. — Les missions catholiques en Chine. — Immenses concessions obtenues. — Décret impérial en faveur de la liberté de conscience. — Adresse des néophytes chinois au ministre de France.

L’empereur Hien-Foung n’était pas revenu ainsi qu’on l’avait annoncé ; effrayé de la rapide victoire des Européens, et de leur établissement dans sa capitale, il s’était enfermé dans son palais de Ge-Holl, sur la frontière de Mandchourie, et y achevait, au milieu de son harem et de quelques favoris opposés à l’influence étrangère, une vie consumée par de précoces excès.

Le prince de Kong, un de ses frères cadets, qui seul avait eu le courage d’entrer en relations avec les armées alliées, lors de l’invasion, était resté à Pékin, et, sous le titre de ministre des relations étrangères, y dirigeait réellement les affaires de l’empire.

Ce fut à lui que le ministre de France alla rendre une visite officielle, quelques jours après son arrivée à Pékin.

M. de Bourboulon fut reçu courtoisement à la pagode de Hia-hing-tse, où sont les bureaux du ministère ; le prince était entouré de ses quatre assistants, les grands mandarins, Wen-Siang, Hen-Ki, Tchoung-Heun et Kweiliang. La conversation, qui eut lieu par l’entremise du secrétaire-interprète, après l’échange de mutuels compliments, roula sur des sujets peu sérieux, et n’ayant

  1. Cette espèce d’antilope, encore inconnue en Europe, est de la taille d’une chèvre ; elle est complétement domestique dans le nord de la Chine, et sa chair, très-estimée, se vend dans tous les marchés. Son acclimatation serait facile à cause de l’analogie des climats.