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réké (Ancyron), toute voisine de Nicomédie ; Constantin y avait une villa, et c’est là qu’il rendit le dernier soupir.

À huit heures du matin, nous jetons l’ancre en face de Nicomédie (Izmid).

La ville présente un aspect gracieux ; elle couvre les flancs d’une colline ; des masses de verdure, des coupoles, des minarets se montrent çà et là parmi les groupes de maisons.

À mi-côte, est le kiosque du sultan, construction récente et sans importance ; il ne rappelle en aucune façon ni le palais de Dioclétien incendié l’année même où l’empereur signa l’édit de persécution contre les chrétiens, ni celui qui fut édifié au dix-septième siècle par Mourad IV et dont les derniers vestiges ont disparu. Près de là, se trouvent les chantiers de la marine. Durant des siècles ils ont produit ces flottes vaillantes que la chrétienté redoutait. Les temps ont bien changé, ils ne recèlent plus aucun danger pour l’Europe ; et d’ailleurs, aujourd’hui, l’armement des principaux navires a lieu à Constantinople. Cependant Nicomédie fournit encore son contingent nous avons en face de nous une frégate en construction. Le sultan qui, depuis le commencement de son règne, témoigne d’un vif intérêt pour l’armée et la marine, doit venir la visiter dans peu de jours.

De l’ancienne Nicomédie, capitale de la Bithynie, fondée par Nicomède I à la fin du quatrième siècle avant notre ère, embellie par Pline le Jeune, préteur pour l’empereur Trajan, et par Dioclétien qui, après y avoir proscrit les chrétiens, y résigna la dignité impériale (305), il ne reste rien que des débris de murailles ou d’égouts à peine dignes de l’attention du voyageur.

Nicomédie est aujourd’hui le chef-lieu du Kodja-Ili[1] ; on peut y compter de quinze à vingt mille habitants, et les chrétiens, grecs ou arméniens, forment à peu près le sixième de cette population.

Kemer-Kupru, pont sur le Sangarius entre Sabandja et Gheïveh (voy. p. 233).

Les formalités de douane et de santé nous retiennent sur l’Ajaccio jusqu’après déjeuner, et, vers onze heures seulement, nous descendons à terre. Nous y trouvons le kaïmakam établi sous la tente pendant que l’on reconstruit son konak[2]. Il est entoure des membres du medjlis et nous fait un gracieux accueil. Les tchibouks, le café, les politesses d’usage, la conversation, que nous mettons à profit pour recueillir des renseignements et arrêter notre itinéraire, remplissent une heure pendant laquelle les zaptiés, désignés par le kaïmakam pour nous escorter, nous font préparer des chevaux de poste[3].

  1. Les divisions territoriales de l’empire ottoman, anciennes déjà, mais régularisées et uniformisées par le Tanzimat, consistent en :

    1o Eyalets (gouvernements), à la tête desquels est un vali ou mutésarrif. Les étrangers donnent habituellement au gouverneur d’une grande circonscription le nom de pacha ; mais ce titre, aujourd’hui, tout en marquant le rang hiérarchique de celui qui l’a reçu, ne se rapporte à aucune fonction spéciale.

    2o Sandjaks ou livas (provinces), administrés par un kaïmakam.

    3o Kazas (districts), que dirige un mudir.

    4o Nahiyès (communes), à la tête desquelles est le mouktar.

    Chacun de ces magistrats est assisté par un medjlis, conseil composé des principaux fonctionnaires et des notables de la circonscription. Les communions chrétiennes et les juifs y sont représentés par les évêques, les rabbins, ou par leurs délégués. Les attributions de ces conseils consistent principalement dans la répartition de l’impôt ; ils siégent aussi dans certains cas comme tribunaux.

  2. Hôtel. À Constantinople on donne ce nom aux habitations particulières des principaux fonctionnaires ; dans les villes de province il désigne la résidence officielle du premier magistrat ; dans les villages, la maison commune.
  3. L’organisation des postes, dans l’Asie Mineure, date du temps de la domination persane ; les empereurs romains l’avaient perfectionnée ; on trouve dans leurs codes plusieurs lois relatives à ce service. Les stations de postes étaient alors pourvues de chars à deux et à quatre roues ; on voit, dans les lettres de Pline, qu’il fit en voiture une partie de son voyage d’Éphèse à Nicomédie.

    Les routes, fort négligées au temps du Bas-Empire, peu entretenues par les premiers sultans, n’existent plus aujourd’hui ; on ne rencontre que des sentiers, et les transports se font tous à dos de cheval et de chameau.

    Les voyageurs qui ne sont point pressés font bien d’user de leurs propres montures. Dans les grands centres de population, il y a des loueurs (katerdjis) avec lesquels on peut faire marché pour un ou plusieurs jours.

    Quant aux stations de poste, il en existe sur les principales lignes de communication, espacées entre elles de 25 à 30 kilomètres. Les chevaux qu’on y entretient sont réservés pour les services publics, spécialement pour porter les courriers (tatars) ; mais, ainsi que l’avaient réglé les empereurs romains, les particuliers munis d’un permis (bouyourouldi) peuvent aussi en faire usage. Le tarif de la poste est de cinq piastres autour de la capitale, et de trois piastres et demie (environ soixante-quinze centimes) dans le reste de l’empire, par heure et par cheval. Les heures ne sont point calculées d’après le temps réellement employé pour se transporter d’un point à un autre, mais en raison de celui qui est nécessaire à un chameau de caravane pour parcourir le même espace.