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quatre rangées de pilastres, en cinq nefs qui s’entrecroisent et forment ainsi vingt-cinq divisions surmontées d’autant de coupoles. Celle du milieu laisse voir à son sommet une large ouverture par où l’air extérieur pénètre librement. Cette ouverture correspond à un grand bassin de marbre, situé au centre de la mosquée, peuplé de jolis poissons et alimenté par un jet d’eau.

Au dehors, l’ornementation de cette mosquée n’offre rien de spécialement remarquable. La porte principale était flanquée de deux minarets primitivement revêtus de faïence émaillée. Le tremblement de terre de 1856 les a renversés, et leur reconstruction n’est pas encore terminée. À l’intérieur, l’or et les arabesques coloriées avaient été prodigués ; aujourd’hui, murs et pilastres sont recouverts simplement d’une couche de badigeon blanc sur lequel ressortent, tracées en bleu, quelques sentences tirées du Coran. Malgré la simplicité de sa décoration, cette grande salle où l’eau murmure, où la lumière circule à flots à travers une forêt de colonnes et dans les profondeurs de vingt-cinq coupoles, présente un aspect imposant.

Les autres grandes mosquées de Brousse sont les mosquées de Bayézid et de Mourad situées dans les faubourgs, l’une à l’est, l’autre à l’ouest de la ville, parmi des groupes de platanes et de cyprès gigantesques ; et la mosquée de Mohamed I ou Yéchil-djami, la plus intéressante de toutes sous le rapport de la richesse et du fini des ornements..

Le portique et les murs extérieurs sont revêtus de marbre et portent, gravées en creux, des inscriptions encadrées dans de gracieuses arabesques ; on y lit, entre autres, cette belle sentence : « Le meilleur des hommes est celui qui se rend utile à ses semblables. »

Les parois intérieures de la Yéchil-djami sont presque entièrement recouvertes de faïences émaillées ; mais, par suite du tremblement de terre, cause de tant de ruines, une énorme crevasse sillonne la coupole de part en part. À moins de réparations prochaines, sur lesquelles il ne faut guère compter, la Turquie aura bientôt perdu l’un de ses plus nobles édifices. Le revêtement de faïence qui enveloppait les minarets a disparu depuis longtemps.

À l’entour des principales mosquées, parmi des groupes de platanes et de cyprès, on voit des kiosques carrés, ronds ou octogones, surmontés de coupoles et souvent décorés avec luxe ; ce sont les turbés, chapelles sépulcrales qui renferment les corps des sultans, de leurs proches et de personnages illustres. Ceux de Brousse abritent la dépouille mortelle des premiers sultans, depuis Osman jusqu’à Mourad II.

La disposition intérieure est la même dans tous les turbés. Au milieu de la salle, un soubassement garni de marbre, de faïence et d’étoffes précieuses, porte les cercueils enveloppés dans des châles de cachemire et sur lesquels sont placés des turbans et divers autres insignes ayant appartenu aux défunts. De gros cierges de cire, dans de riches chandeliers, sont habituellement disposés à l’entour de ces catafalques.

Au de la des coupoles de la Mouradieh, d’autres coupoles apparaissent encore au pied de la colline ; là se trouvent les bains de Brousse, célèbres dans tout l’Orient. Plusieurs sources chaudes et froides les alimentent[1]. Intérieurement de grandes salles voûtées contiennent, les unes des piscines, les autres des divans. Ces salles sont presque toujours remplies, et les habitants de Brousse y passent des heures délicieuses ; on sait en effet quelle place importante le bain tient dans la vie des Orientaux ; pour eux, c’est un plaisir autant qu’une pratique hygiénique. La plupart des établissements de ce genre proviennent de fondations pieuses et sont ouverts gratuitement au public. À Brousse, le plus important (Yéni-Kaplidja) est dû à la munificence de Roustem-pacha, grand vizir de Soliman II.


VI


Brousse (suite). — Agriculture et industrie. — Ascension du mont Olympe.

Nous consacrâmes une journée à visiter deux établissements agricoles récemment installés dans la campagne de Brousse. L’un est la propriété d’un Arménien, M. Toros-Oglou ; l’industrie et l’agriculture marchent de front. Une magnanerie et une filature y occupent un nombre considérable d’ouvriers. Environ mille hectares, en pâturages, plantations de mûriers et terres labourables composent le domaine rural ; les bâtiments sont vastes, bien disposés ; ils ne le cèdent en rien à ce qui, dans ce genre, se fait de mieux en Europe.

Les champs, à cette époque de l’année, étaient dégarnis de récoltes, les troupeaux dispersés dans la vallée ; nous ne pûmes donc juger par nous-mêmes des résultats qu’a obtenus M. Toros-Oglou ; mais cette exploitation, organisée sur des bases si larges, semble conduite avec intelligence, et pourra sans doute servir de modèle quand des capitalistes en plus grand nombre tenteront de mettre en valeur le sol fertile de l’Anatolie.

Nous allâmes ensuite chez M. John Zorab, sujet anglais d’origine arménienne ; il exploite des terres sur plusieurs points de la province de Brousse, où il a acquis une véritable popularité sous le nom du Tchélébi-John[2].

Il nous montra l’appareil à vapeur qu’il vient de faire monter pour la fabrication du sucre de sorgho[3]. Cette plante réussit bien dans la plus grande partie de l’Anatolie, mais, jusqu’à ce jour, les gens du pays ne possédaient pas les instruments nécessaires pour en tirer un bon parti. Depuis l’ouverture des établissements de M. Zorab, on se livre avec ardeur à cette culture, dont les produits lui sont apportés d’assez loin.

  1. Les eaux thermales de Brousse sont sulfureuses et alcalines ; la température de la source la plus chaude est de 90 degrés centigrades.
  2. Tchélébi, proprement petit seigneur, titre que les gens du peuple donnent en Turquie aux étrangers de distinction.
  3. Dans cette usine, le sirop de sorgho n’est point amené à l’état cristallin ; il est simplement converti en mélasse, et, sous cette forme, il remplace économiquement le sucre de raisin et le miel, qu’on employait habituellement dans le pays.