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entre l’Europe et l’Asie, à l’ouest des Canaries, au 24° de latitude, presque sous le signe de l’écrevisse. Behaim avait sciemment noté en ce point les pressentiments des cosmographes et des navigateurs les plus éminents de son époque, parmi lesquels lui-même avait le droit d’être compté, bien que son portrait peint sur une bannière du musée germanique, donne plutôt l’idée d’un beau et vaillant gentilhomme que d’un savant. Né à Nuremberg en 1459 il était issu d’une noble famille originaire de Bohême. Il avait connu dans sa ville natale l’astronome Regiomontanus (Jean Muller de Kœnigsberg, de regio, kœnigs, monte, berg), et dès sa jeunesse il s’était fort avancé dans l’étude des sciences. À l’exemple d’autres patriciens, il avait d’abord voyagé comme représentant d’une des branches du haut commerce de Nuremberg. Il avait visité les Pays-Bas, l’Italie, l’Espagne, le Portugal. À la cour de Lisbonne, il s’était aisément laissé enflammer à la passion des découvertes géographiques qu’encourageait et stimulait la politique généreuse de Jean II, dit le Parfait ; il avait mis ses connaissances, son ardeur, son épée au service du roi, et il ne paraît pas contestable qu’il ait pris une glorieuse part aux explorations portugaises sur les côtes de l’Afrique occidentale, notamment à celle qui avait reconnu le Gabon. En 1486, il avait épousé, aux Açores, la fille du chevalier Hurber de Mœrkirchen, gouverneur des îles Fayal et Pico[1]. Le Portugal était ainsi devenu sa seconde patrie ; il mourut à Lisbonne en 1506. Cependant il avait voulu revoir Nuremberg en 1491, il y était resté jusque vers la fin de l’année suivante. Ce fut durant ce séjour qu’il fit son globe, considéré avec raison par ses contemporains comme une œuvre d’une haute importance scientifique en même temps que comme une ingénieuse nouveauté. Pour satisfaire la curiosité des hommes instruits et du public, il fallut construire de si nombreux exemplaires de cette image de la terre en miniature, que toute une nouvelle industrie en prit naissance. Dès 1510, les fabricants de globes formaient à Nuremberg une corporation distincte, et leurs globes étaient renommés dans toute l’Europe[2].

Escalier de la maison Fuchs, sur la place Saint-Gilles. — Dessin de Thérond d’après une photographie.

Ma contemplation a sans doute duré trop longtemps. Lorsque j’en sors, je me trouve seul avec l’homme d’affaires qui, tout en se promenant d’un air pensif devant les casiers, remplis de nobles parchemins d’où pendent des sceaux en cire ou en plomb, remue ses clefs avec une secrète impatience. Je le remercie, je descends ; je cherche des yeux sur la place le petit tailleur : il a disparu[3].




Une affiche, toute fraîche collée et d’un beau bleu, m’attire : c’est une annonce de spectacle. Il serait peut-être intéressant d’assister à la représentation de quelque comédie de mœurs populaires. Mais, ô déception on jouera Paillasso und seine Familie « Paillasse et sa famille, » mélodrame imité du français. La semaine précédente je m’étais détourné, avec un égal

  1. À Nuremberg, on tient pour certain que Behaim, lorsqu’il vivait à l’île Fayal où il avait déjà presqu’un pied dans le nouveau monde, eut des relations avec Christophe Colomb et qu’il l’aida et l’encouragea par ses conseils et ses démonstrations. « Colomb, dit Herrera, fut affermi dans la pensée de chercher à l’ouest une route vers les Indes orientales, par son ami le Portugais Martin de Behemia, de l’île Fayal, grand cosmographe. » (Decades, liv. I et II).

    En 1485, Jean II fit Behaim chevalier du Saint-Esprit et lui remit l’épée dans une cérémonie publique. Il le nomma membre d’une commission (Junta de mathematicos) chargée de chercher les moyens de calculer la hauteur du soleil. Behaim, élève, comme on l’a vu, de Regiomontanus, construisit un astrolabe pour l’usage de la navigation.

  2. La bibliothèque de la rue de Richelieu possède une copie du globe de Martin Behaim, faite à Nuremberg en 1848. C’est une des curiosités les plus précieuses de la galerie du département des cartes.
  3. Je dois une réparation à ce petit homme de Nuremberg, si complaisant. Ce n’était pas un guide. Il avait servi en France M. B…, membre de la Société de géographie, qui, depuis mon