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rai le roi de lui envoyer des barques, un voyage par eau devant nous permettre d’explorer le lac plus à notre aise.

24 janv. N’yagussa. — Deux ou trois messages de plus en plus impérieux ont fini par ramener Maula, que je force enfin à se mettre en marche. Il nous conduit tout droit chez lui, dans une résidence très-agréable, où il met à ma disposition une hutte vaste et bien tenue. Grâce à lui, nous avons, mes hommes et moi, des bananes à discrétion : « Maintenant que nous voici dans l’Ouganda, me dit notre hôte, vous n’aurez plus à payer votre nourriture. Partout ou vous passerez la journée, l’officier du district doit vous pourvoir de bananes ; à défaut de ceci, vos gens pourront en cueillir dans les jardins, car telle est la loi du pays en ce qui concerne les hôtes du roi. Quiconque serait surpris vous faisant payer la moindre chose, soit à vous, soit à vos gens, encourrait un châtiment exemplaire. »

En conséquence, je suspendis immédiatement la distribution quotidienne des rassades. Mais, à peine avais-je pris cette mesure, que tous mes gens se déclarèrent ennemis de la banane. « Les Vouaganda, prétendaient-ils, peuvent se contenter de cette nourriture à laquelle ils sont habitués ; mais un régime pareil ne saurait apaiser notre faim. »

Rives de la Kitangulé (voy. p. 330). — Dessin de A. de Bar.

Maula, voyant que je prépare tout pour la marche, me supplie de prendre patience et d’attendre le retour du message envoyé au roi, c’est-à-dire une dizaine de jours tout au plus. Quoique révolté de ce retard absurde, il faut bien me résigner à dresser ma tente ; je refuse en revanche ses bananes, et mes gens, à qui je distribue des verroteries, ont ordre d’acheter chaque jour leur ration de grain. Maula m’annonce qu’il va passer quelque temps chez un de ses amis ; mais il reviendra, sans manquer. Je lui réponds qu’il fera bien, car je suis décidé à ne pas l’attendre. Malgré sa courtoisie affectée et ses perpétuels sourires, notre conférence se termine assez peu amicalement.

26 janv. — Je suis encore assourdi par les tambours, les chants, les cris, les hurlements et les danses bruyantes qui n’ont pas cessé depuis deux jours et deux nuits. Il s’agissait d’expulser un Phépo (un démon) du village qu’il obsédait par sa présence. Toutes les cérémonies ont ici un caractère grotesque. Deux vieillards, homme et femme, barbouillés d’une boue calcaire et tenant sur leurs genoux des pots de pombé, étaient assis devant une des huttes, où on leur apportait sans cesse des paniers remplis de bananes en marmelade et de nouvelles cruches de bière. Dans la cour en face d’eux, plusieurs centaines d’hommes et de femmes vêtus d’élégants mbugu, — les hommes portant en guise de turban des branches de glycine artistement tressées dans lesquelles étaient piquées, appendice menaçant, des dé-