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obtenu par la macération des feuilles d’un capsicus, un rouge terne emprunté au rocou, forment l’échelle des teintes employées dans leurs œuvres.

Leurs pinceaux sont façonnés avec trois ou quatre brins d’herbe sèche, attachés par le milieu ou même par une simple mèche de coton roulée à la façon de ces grêles estompes appelées tortillons, que le dessinateur fabrique lui-même, au fur et à mesure de ses besoins. Le peu de consistance de ces outils, ne permet pas à l’artiste d’étendre sa peinture dans tous les sens, et son procédé mécanique consiste à traîner horizontalement le pinceau de gauche à droite.

Avec les grecques, les losanges, les entrelacs et autres motifs d’ornementation qu’ils emploient dans la décoration de leurs poteries, ils ont des hiéroglyphes bizarres et charmants empruntés au plumage de la grue Caurale (ardea helias). Les fantastiques zébrures de cet oiseau, assez rare et presque toujours solitaire, que les naturalistes ont surnommé le petit paon des roses, ont donné aux femmes conibos l’idée d’un genre spécial d’arabesques pour leurs vases et leurs tissus, comme la spatule caudale du lamentin paraît avoir fourni aux hommes le modèle de leurs pagaies.

Femme conibo peignant des poteries.

Avant d’entreprendre une excursion sur la grande rivière, et tandis que la femme s’occupe de l’équipement et de l’approvisionnement de la pirogue, ou entasse au fond de l’embarcation les mottes de terre mouillées sur lesquelles sera placé le foyer destiné à cuire les aliments pendant la traversée, le Conibo, assis sur la berge, inspecte gravement son picha, ou sac de nuit, afin de s’assurer qu’aucun des objets nécessaires à sa toilette ne lui fera défaut durant le voyage. Le sac de nuit d’un Conibo, espèce de cabas en coton tissé qu’il porte toujours en sautoir et qu’il n’abandonne jamais, renferme habituellement, comme celui des Antis, des amandes de rocou et une pomme de genipa pour les peintures, un débris de miroir, un peigne fabriqué avec les épines du palmier chonta, un morceau de cire vierge, un peloton de fil, une pince à épiler, une tabatière et un appareil à priser.

La pince à épiler (tsanou) est formée par deux valves de mutilus reliées à leur extrémité par une charnière en fil, et dont l’opérateur se sert avec beaucoup d’adresse.

Nous n’avons rien vu de plus comique que la grimace d’un de ces Conibos, le nez collé sur son miroir, et en train d’arracher la demi-douzaine de poils semés sur son visage.

La tabatière (chicapouta) est empruntée au test d’un bulime. Son possesseur l’emplit jusqu’à l’orifice, d’un tabac récolté vert, séché à l’ombre et réduit en une poudre presque impalpable.

L’usage du tabac (chica) n’est pas considéré par ces indigènes comme une distraction ou comme une habitude, mais seulement comme un remède. Lorsqu’ils se sentent la tête lourde, ou qu’un coryza irrite leur membrane pituitaire, ils prennent, comme les Antis et les Chontaquiros, leur appareil à priser (chicachaouh), construit de la même façon que ceux de leurs voisins, et prient un camarade de souffler dans le tube vide, et d’envoyer au fond de leurs cavités cérébrales la poudre à Nicot dont l’autre tube est plein. Cette opération terminée, le Conibo, les yeux hors de la tête, soufflant, renâclant, éternuant, remet dans son cabas sa tabatière et son appareil à priser, et traduit alors sa satisfaction par un clappement de lèvres et de langue très-singulier.

Ce clappement labial et lingual du Conibo a mainte analogie avec le geste européen de se frotter les mains pour témoigner d’une jubilation quelconque. Chez ces indigènes, il exprime en outre, le plaisir ou l’orgueil à propos d’une difficulté vaincue, l’adhésion formelle au