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blanche agitée par la brise permet au passant de lire le nom de la nouvelle reine, « Rasouaherina, panjaka ny Madagascar. » (Rasouaherina, reine de Madagascar.) L’étendard flotte au-dessus de la demeure du commandant, sa grandeur Andrian-Mandrosso, ex-bouvier, aujourd’hui prince ova. La campagne est au loin déserte et nue ; quelques éclairs, effet de la réverbération des eaux, laissent deviner des marécages, et plus près de nous, dans le centre de la ville même, de larges flaques d’eau stagnante portent au milieu des habitations l’influence délétère des miasmes paludéens.

Cette première excursion terminée, nous pensâmes au retour et, nous dirigeant à gauche, nous traversâmes la ville entière, en passant par une espèce de faubourg. Les cases plus petites et plus pauvres d’apparence que tout ce que nous avions vu jusque-là, formaient des labyrinthes desquels nous eûmes peine à sortir ; nous avions hâte cependant, non pas que nous eussions rien à craindre pour nos jours, mais des femmes à tournure équivoque et des hommes à mine douteuse, donnaient à ce quartier une mauvaise apparence ; nous arrivâmes vers les trois heures chez l’un de nos nouveaux amis.

La maison habitée par M. B*** est une des plus élégantes de Tamatave. Elle est de construction malgache, et peut servir de type en ce genre. Elle est placée au milieu d’une cour de sable fin, qu’ombragent de grands manguiers toujours verts et que parfument des pamplemousses et des orangers ; les dépendances bordent l’enclos : ce sont la cuisine, les logements des domestiques et des esclaves, et de petites cases pour les amis.

Le corps du petit édifice repose sur des poteaux, à trente centimètres environ au-dessus du sol ; les solives en côtes de raffia, soutiennent un clayonnage de bambous qui forme la muraille extérieure de la maison, et la charpente du toit également composée de côtes de raffia, supporte une couverture légère de feuilles de ravenal : l’ensemble est d’un aspect charmant.

L’intérieur, comme celui de la plupart des demeures malgaches, se divise en deux compartiments, et chacun d’eux, la salle commune aussi bien que le gynécée, est tendu de rabanes faisant tapisserie, tandis que le plancher disparaît sous des nattes de jonc d’une extrême propreté ; en quelque lieu que ce soit on aimerait une retraite semblable ; nous nous y reposâmes avec délices des fatigues de notre longue promenade.


II


Le tacon. — Baie d’Yvondrou. — Le bord de la mer. — Tempête. — Les bois. — Arrivée chez Clément Laborde. — Un déjeuner malgache. — La veuve. — Aspect du pays. — Les danses.

Le lendemain, nous devions nous rendre chez M. Clément Laborde. Il nous attendait à son habitation située sur les premières collines qui longent la côte, à 12 kilomètres environ de Tamatave. Aussi étions-nous prêts de bonne heure afin de disposer nos bagages et d’organiser le chargement et le départ de nos marmites (porteurs). Mais le temps devint noir, la pluie tombait par torrents, et des rafales ébranlaient la case. Il y avait de quoi décourager les plus intrépides ; nous partîmes cependant.

Le tacon est le seul véhicule usité à Madagascar ; sa construction est des plus simples : figurez-vous une chaise ou un fauteuil placé sur un brancard ; l’appareil est léger, quatre hommes le soulèvent sans effort, lorsque toutefois le voyageur n’est pas d’un embonpoint exagéré Si le tacon comme véhicule est seul connu, c’est qu’il est seul possible. Madagascar n’a de chemin d’aucune sorte et les voitures ne sauraient pénétrer dans l’intérieur. Les Malgaches n’ont en fait de quadrupèdes que les bœufs dont ils font uniquement un objet de commerce, et le cheval n’est pour eux qu’un animal de haute curiosité. Il serait tout aussi difficile de voyager pour un cavalier que pour une voiture ; les marais fangeux, les rivières et les forêts entraveraient sa marche ; dans les plaines du nord de l’île la chose serait facile.

Pour une simple course en tacon, il faut quatre hommes à chaque promeneur ; mais un voyage de quelques jours exige toute une armée ; douze porteurs d’abord pour le voyageur et de vingt-cinq à trente autres marmites pour les bagages et les provisions. Voyez quel nombre de Malgaches nécessiterait une compagnie de dix personnes ; cela monterait à quatre cents pour le moins. Notre excursion ne comportait pas autant de monde. Nous n’avions que huit hommes chacun.

Nous partîmes donc, le chapeau sur les yeux, car la pluie nous aveuglait, et, sans nos manteaux de caoutchouc, nous eussions été littéralement noyés. Quant à nos Malgaches, ils n’y faisaient nulle attention ; ils allaient de leur petit trot saccadé, frappant la terre en cadence et poussant de temps à autre des cris bizarres, auxquels chaque troupe répondait. Nous débouchâmes bientôt sur le rivage de la petite baie d’Yvondrou ; le vent redoublait de violence et la mer était belle à voir. Elle ondulait au large en collines menaçantes, déferlait en fureur sur les coraux de la pointe d’Hastie, puis, formant trois étages superposés de volutes immenses, venait mourir à nos pieds blanche d’écume, couvrant nos voix de son bruit formidable et lançant jusque sur nos porteurs du sable et des débris.

L’admiration ne se lasse point devant ces magnifiques spectacles ; pour mon compte, j’oubliais le but de notre course et les petites misères de notre position présente ; cette voix semblable au tonnerre, ces luttes gigantesques des vagues, cette plaine d’écume me captivaient encore lorsque nous tournâmes à droite pénétrant dans le taillis de la côte et nous dirigeant vers l’intérieur. À voir la mer en ces moments suprêmes, la formation sablonneuse des plaines de Tamatave s’explique aisément, et il n’a fallu sans doute que peu de siècles à l’Océan pour mettre en relief ces vastes espaces.

Les dunes sont couvertes d’une végétation bizarre qui envahit tout le premier plan des sables de la côte : ce sont les vacoas (pandanus utilis), plante voisine des palmiers et de la famille des monocotylédones ; elle est d’un port étrange, gracieux et triste à la fois ; le tronc couvert d’une écorce lisse se divise généralement à une