Page:Le Tour du monde - 10.djvu/22

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un grand voyage de Murcie à Grenade, c’est-à-dire de traverser une partie de l’Espagne, de l’est à l’ouest ; la distance n’est pas très-considérable, mais il n’y a aucune distance, aucun moyen de transport régulier ; le pays est extrêmement accidenté et les routes en fort mauvais état. Nous résolûmes néanmoins de partir à l’aventure, et d’aller, s’il le fallait, à cheval, à mulet, en galère, et même à pied au besoin. Nous fixâmes notre première étape à Totana, où nous comptions séjourner assez de temps pour étudier à notre aise les nombreux gitanos qui l’habitent. Nos places étaient retenues dans une galera atartanada, et nous fîmes nos préparatifs de départ comme s’il avait fallu traverser le grand désert ; nous allâmes d’abord acheter dans la calle de la Traperia de ces belles mantes murciennes, aux couleurs si chaudes, et dont chaque extrémité se termine par une grappe de pompons de laine ; nous achetâmes également des alforjas, autre accessoire de voyage non moins utile que la mante ; on appelle alforjas une espèce de grand bissac de laine dont chaque extrémité se termine en carré, et dont les deux vastes poches se ferment au moyen de cordons ornés de toutes sortes d’agréments et de passementeries. Il serait très-imprudent de s’embarquer sans alforjas dans un pays où les auberges sont souvent, comme au temps de Cervantes, tout à fait dépourvues de vivres, et ou le voyageur s’expose à souffrir de la faim s’il n’emporte avec lui ses provisions : nous ne partîmes donc qu’après avoir bien garni nos alforjas, à l’exemple du bon Sancho. Il était à peine jour quand notre galera atartanada se mit en route, et nous n’avions pas trop de la journée pour faire les dix lieues qui nous séparaient de Totana. Notre véhicule, ainsi que l’indique son nom, était une espèce de compromis entre la galère et la tartane ; c’était la galère avec atténuation de peine.

Moissonneurs de la huerta de Murcie.

Longtemps encore nous aperçûmes la haute tour de la cathédrale de Murcie, dorée par les rayons du soleil levant, et il était près de midi quand nous atteignîmes Lebrilla, petite ville à l’aspect sauvage et misérable, aux maisons basses, bâties en pisé, et habitées en partie par des gitanos, qui deviennent de plus en plus nombreux à mesure qu’on s’éloigne de Murcie. Après une halte de deux heures, dont nos mules avaient grand besoin, nous nous remîmes en marche par une chaleur écrasante.