Page:Le Tour du monde - 11.djvu/52

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et suent par tous les pores leurs rhumatismes, catarrhes, laryngites, névralgies, etc. Après un plus ou moins long temps de cet exercice salutaire, mais désagréable, les affamés de jouissance, les purs sybarites s’abandonnent aux mains d’un individu pour lequel je cherche un qualificatif : bourreau serait peut être un peu dur ; tourmenteur est trop doux. Cet individu vous prend, et d’un tour de main que je ne m’explique pas, quoique je l’aie subi, vous couche tout de long sur un lit de cuir garni en dessous d’une table de marbre, barbouille en un clin d’œil toute votre surface accessible d’une pâte onctueuse, trop parfumée. D’un autre tour de main, aussi inexplicable que le premier, il vous fait faire volte-face à plat, aussi complétement et aussi sûrement qu’une cuisinière retourne une omelette dans sa poêle. Alors, le poing enveloppé d’un ceste en flanelle ou en feutre très-souple, il vous frotte, vous tamponne, vous foule, vous pétrit, vous refoule, vous étale, vous relève, vous allonge, vous broie, en vous retournant de temps en temps sans crier gare, de manière à exprimer de votre pauvre corps anéanti toutes les sueurs et les humeurs peccantes qu’il contient, absolument, comme fait une blanchisseuse du linge qu’elle plie, déplie et tord ; il ne lui manque que le battoir ; heureusement, il manque ! Au bout d’un quart d’heure de ce supplice, vous vous croyez quitte ; pas du tout. Le tortureur s’empare de vos doigts, de vos bras, de vos jambes à qui il fait subir toutes les tensions, les flexions, les torsions possibles, détirant et faisant craquer vos articulations l’une après l’autre, comme s’il jouait des castagnettes avec vos os, et ne vous quittant enfin, pantelant, exténué, que pour aller prodiguer à d’autres patients des voluptés pareilles.

Costumes hongrois. — Dessin de Lancelot.

Dès que vous commencez à respirer, votre plus pressant désir est de vous débarrasser de cette atroce crème visqueuse dont tout votre corps est oint. Pour cela il est nécessaire de vous replonger dans la bouilloire. Cette seconde immersion qu’on appréhende d’ordinaire, étonne agréablement, elle repose doucement des émotions précédentes, et vous rend comme la conscience de votre forme que vous aviez perdue durant ce long cauchemar. Quand je fus suffisamment échaudé et purifié de ma confiture de guimauve ou de laitue, un garçon de bain me conduisit à la salle des douches, en m’assurant que j’en avais fini avec la partie fatigante de l’opération, et que j’allais nager désormais en pleine béatitude. Les douches sont générales ou partielles. La douche générale consiste en une aspersion d’eau froide qui vous inonde à la fois toutes les parties du corps et produit une réaction violente qui a pour effet de raffermir les tissus de la peau dont l’élasticité vient d’être développée outre mesure. La douche partielle agit spécialement sur la partie du corps qui est en traitement. Pour arriver aux divers résultats, on a pratiqué à différentes hauteurs, correspondant aux principales divisions du corps, des jets horizontaux ou obliques d’où s’échappent, comme d’une pomme d’arrosoir, de petits filets d’eau menus et drus, d’un diamètre total d’environ douze centimètres. On débute par les douches partielles. Tel qui souffre d’une gastralgie se roidit héroïquement devant une gerbe qui lui frappe le creux de l’estomac. Tel autre, atteint de rhumatismes, s’inonde avec persévérance, soit le genou, soit l’omoplate. Un monsieur, chargé d’un peu trop d embonpoint, fustige impitoyablement son abdomen. Tous finissent par la grande douche, le bouquet, formée de mille jets qui s’entrecroisant de haut en bas, obliquement, en face, par derrière, vous frappent de tous les côtés à la fois et vous pénètrent comme autant d’aiguilles de glace.

Et voilà l’exacte description d’un bain turc complet. Je ne suis pas mécontent du mien. Il m’a causé un moment d’indicible satisfaction ; ce fut lorsque je me trouvai dans mon paletot, fumant un cigare à l’ombre d’un ormeau qui se mirait dans le Danube.

Quoi qu’on m’eût dit de son peu d’intérêt, je devais une visite au Musée. Je n’y trouvai rien de remarquable en peinture.

Le prince Esterhazy veut, dit-on, y transporter sa magnifique galerie, une des merveilles de Vienne, qui en est fière et y tient. Aussi oppose-t-elle toute sa puissance gubernatrice à la réalisation de ce projet qui languit depuis si longtemps, que beaucoup ne comptent plus sur la promesse.

Au musée de Pesth, quelques tableaux historiques et des portraits authentiques ont un intérêt local. Ceux attribués à l’école italienne sont d’une faiblesse vraiment désolante ; mais il possède une très-nombreuse et très-riche collection de monnaies et de médailles données par le comte Szechnyi ; des antiquités romaines,