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éclairs, se présenta devant la tente royale. Les sentinelles le repoussèrent d’abord, mais son insistance et son extérieur étrange les engagèrent à prévenir le roi de ce qui se passait. Louis ne voulut point recevoir lui-même le visiteur ; mais il députa vers lui son écuyer dont le costume, égal en richesse à celui du souverain, pouvait faire illusion à un homme, suivant toutes les apparences, étranger à la cour. À la vue de cet officier, l’inconnu s’écria d’une voix terrible : « Tu n’es pas le roi ! Louis dédaigne de m’entendre, qu’il tremble donc ! son dernier jour est venu ! » Et, à ces mots, il partit au galop, répandant autour de lui une forte odeur de soufre. »

Mohacz, ville de huit à dix mille âmes, est situé sur la rive occidentale du Danube, en face d’une île boisée et marécageuse, longue de trente kilomètres, large de quinze, désignée indifféremment sur les cartes sous les noms d’île de Brigitte et d’île de Mohacz.

En sortant de Mohacz on voit la Puszta coupée de flaques d’eau d’un vert de jonc ; elle n’a plus de limites ; de loin en loin surgit une petite butte conique auprès d’une enceinte très-rétrécie d’osier tressé à des pieux. — C’est la maison du berger et son jardin. Autour s’éparpillent les grands bœufs gris à longues cornes et les vaches blanches ; les plus hautes touffes de végétation qui, d’ici, ressemblent à des genêts, ne dépassent pas leur poitrail. — Auprès de sa cabane le berger assis joue de la flûte ; son chien l’écoute tout en donnant son regard au troupeau.

Jardinières des environs de Pesth. — Dessin de Lancelot.

Des nuées de corbeaux volent en croassant de puits en puits et se posent sur leurs bras décharnés que le vent agite. Ils jalonnent la route, dominent seuls l’attristant paysage et vont à perte de vue se confondre à l’horizon troublé.

… Le berger flûteur est déjà loin, un autre apparaît, qui commande à une armée de porcs bruns aussi nombreuse que celle des Mèdes et dont les bandes pressées défilent dans la plaine foulant et déchirant. Drapé fièrement dans un ample manteau blanc de laine épaisse, aussi majestueux que Xerxès, le porcher abandonne la direction de la manœuvre à ses grands chiens noirs qui, sur un signe de lui, bondissent et disparaissent dans la masse grognant où leur présence opère des changements de front tumultueux.

… L’arrière-garde de Barbares disparue, voici des bandes plus joyeuses et plus vives de ces belles oies du Danube, toutes blanches, à plumes longues, souples et soyeuses qui voltigent aux flancs et sur le dos de l’oiseau, comme si le vent les détachait. — Elles crient, s’envolent et s’éparpillent par groupes irréguliers dans l’herbe verte où de loin elles semblent un semis de blanches marguerites.

… L’espace se resserre, nous traversons une forêt de grands arbres qui me paraissent des hêtres ; leurs troncs sont tourmentés et s’enlacent. — Sur un gazon touffu que l’eau recouvre, des cigognes se promènent par compagnies, gravement, en faisant jaillir l’eau sous leurs longues pattes, ou bien, isolées au pied d’un arbre comme des sentinelles attentives, le cou replié, elles restent immobiles et réfléchies ; notre passage ne les trouble pas et elles gardent malgré le bruit leur attitude hiéroglyphique.

… Les arbres s’écartent à droite et à gauche et laissent voir de petites îles couvertes de saules emmêlés et des langues de terre avancées aux extrémités desquelles de hautes perches supportent des filets tendus. Des abris de pêcheurs de plus en plus rapprochés annoncent le voisinage d’un centre de population. — Nous longeons une chaussée droite et bien plantée sur laquelle courent des chariots attelés de quatre chevaux.