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Village hongrois, près Semlin. — Dessin de Lancelot.


DE PARIS À BUCHAREST,

CAUSERIES GÉOGRAPHIQUES[1]


PAR M. LANCELOT.

1860. — TEXTE ET DESSINS INÉDITS.




XXXVII

BELGRADE.


Belgrade vu de loin et de près. — La forteresse. — Le vieux et le nouveau Belgrade. — Courte digression politique. — Turcs et chrétiens. — Avenir de la Serbie.

Belgrade, bien que situé à l’opposite de Semlin, de l’autre côté de la Save, est bâti, de même que la ville autrichienne, sur la rive droite du Danube. En mettant le pied sur le bateau, je pus déjà me créer une idée de l’ensemble qui se développait largement en face de moi sur une colline assez élevée au centre et mollement prolongée à droite. Le milieu de cette colline était couvert d’une triste végétation brûlée par le soleil ; deux ou trois chemins blancs l’escaladaient en serpentant. À droite, elle était coupée brusquement en forme de falaise, et se reliait par quelques groupes d’arbres à la ville qui étalait en amphithéâtre adouci ses maisons à l’européenne que surmonte le clocher d’une église. Au sommet, de longs murs blancs en ceignaient un grand bâtiment carré assez semblable de loin à une caserne, des jardins et une mosquée surmontée de deux minarets à pointes aiguës. À gauche, le sol redescendait assez rapidement portant comme une seconde ville cachée par des arbres fruitiers au milieu desquels s’élançaient de grands cyprès isolés. Tout cela, vu de loin, estompé par la brume lumineuse qui flottait sous un ciel bleu d’une pureté admirable, promettait beaucoup et annonçait bien l’Orient.

Le bateau franchit vite la distance ; vingt-cinq minutes après notre départ de Semlin nous débarquions sur le quai de Belgrade

J’ai dit que ce qui m’attirait surtout à Belgrade c’était le désir caressé depuis ma jeunesse de voir une ville turque. Je faisais bien de me hâter ; car ce qu’on nomme, ou plutôt ce qu’on nommait à Belgrade la ville turque, allait bientôt disparaître. Il ne reste plus aujourd’hui aux Osmanlis que la forteresse qui dans peu, il faut l’espérer, suivra l’exemple de la ville, et retournera à ses possesseurs légitimes.

J’espérais aussi trouver près d’une compagnie française de navigation, tout nouvellement créée et qui avait son siége à Belgrade, la possibilité de continuer mon voyage jusqu’à Giurgevo avec moins de rapidité que sur les bateaux du Lloyd. Au rebours des voyageurs ordinaires, j’aurais désiré m’arrêter plus souvent, regarder et dessiner mieux qu’à vol de vapeur les sites merveilleux que je savais devoir rencontrer bientôt ; car, la belle partie du Danube ne commence qu’au delà et encore à une assez grande distance de Belgrade, je fus trompé dans mon attente. La société franco-serbe, comme la société du Lloyd, comme toutes les sociétés organisées en vue du transport des voyageurs, n’était préoccupée que des moyens d’accélérer la marche de ses bateaux. Je ne pouvais songer à la blâmer ; mais ce n’était pas mon affaire. L’idée me vint alors de descendre le fleuve, dans une barque, mon album sous le

  1. Suite. — Voy. t. III, p. 337, 253, 369 ; t. V, p. 193, 209 ; t. VI, p. 177, 193 ; t. VII, p. 145, 161, 177 ; t. XI, p. 33 et 49.