Page:Le Tour du monde - 17.djvu/297

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n’a rien que de très-vraisemblable et de fort ordinaire dans la vie des conquérants, présente sur ce lieu même qu’on lui attribue pour théâtre, une scène assez grandiose à l’imagination. Les vieux légionnaires basanés devaient avoir bonne figure et fière mine en défilant le long de ces murailles de granit qu’ils avaient nivelées ; la tente impériale, en drap pourpre frange d’or, devait bien faire sous ce ciel splendide, et les clairons romains devaient résonner triomphalement entre ces masses de rochers aux puissants échos.

Notre jeune moine était le premier Valaque que nous rencontrions si fier de sa nationalité et en possédant si bien les traditions ; il n’était pas une exception. Nous le constatâmes souvent dans la suite de notre voyage. À côté de cette fierté d’origine, se place chez les Valaques une confiance soutenue dans la réhabilitation à venir de leur race.

Tous les Roumains de la Valachie, de la Moldavie et de la Transylvanie répètent cette phrase devenue sacramentelle dans leur bouche (Rôman no pèré) : le Roumain ne périra pas. Trajan est dans leur souvenir comme leur aïeul a tous, et ils multiplient le plus possible, comme pour mieux affirmer leur conviction, les appellations qui leur rappellent ce grand nom pour eux synonyme de Roumain, homme brave et fort. Tout ce qui semble dans la nature avoir une supériorité marquée ou une individualité particulière lui est identifié ; un mont qui domine les autres, un pic isolé, deviennent la tour et le château de Trajan. Les plaines sont des camps de Trajan, l’avalanche c’est le tonnerre de Trajan, le tonnerre est sa voix, il est partout, et la voie lactée elle-même est associée à son nom. Les enfants en la regardant avec extase l’appellent le chemin de Trajan : drumu Traian.

Le monastère de Costa, vu de l’autre côté de l’Olto. — Dessin de Lancelot.

Cette idée de puissance surhumaine accordée au sage conquérant, père de la race, est si dominante, que dans les poésies religieuses nationales Dieu est le grand empereur.

En 1666, Dosothée, métropolitain de Moldavie, dans un psautier en vers, en langue roumaine, traduit ainsi les versets de David.

« Que les langues bondissent en chants sublimes, que crie au firmament le glas de la joie en louant le Seigneur ; que tout homme chante ; le Seigneur est fort ; c’est le grandi empereur de toute la terre et il tient en lui la raison.

« Sur le sommet des montagnes s’entendent les voix nombreuses des grands buccins, avec des chants sublimes ; le Seigneur s’est levé, que tout homme le voie ! Chantez sur vos luths les louanges sans fin ; chantez l’empereur, qui n’a pas d’égal. »

À la fin du psautier est une pièce de vers qui révèle, dit Vaillant, les progrès rapides de la poésie et le retour marqué de la langue à ses origines latines.


Némul t’éri Moldavi de unde derad’a
Din t’era Italii tot omul sè cred’a
Flacu antèiu, apoi Traian au adus pe aice