ter plus haut, la vue rencontre le géant, le colosse souverain de ces contrées, l’Hékla qui montre sa tête sinistre au-dessus des contre-forts environnants.
Après avoir traversé la prairie, nous arrivâmes à la porte du bœr, ou nous fûmes reçus par une vieille femme. — Il paraît que c’est un usage général de faire garder la maison par le plus ancien. — Le reste de la famille ne tarda pas à arriver. Le chef était un jeune homme de quarante ans environ ; dès que nous fûmes installés dans ma chambre, et pendant que je finissais mon modeste repas, une conversation assez vive s’engagea entre mes hommes et la femme de ce chef. Le chef d’Hankadolur venait de transmettre à son collègue de Selsund les volontés du prêtre de Storuvellir relativement à mon ascension de l’Hékla ; mais comme depuis quelque temps le bruit courait que le volcan donnait des preuves d’impatience et allait faire éruption d’un moment à l’autre, la femme du chef de Selsund s’opposait à ce que son mari m’accompagnât. C’est la seule fois dans mon voyage en Islande que j’ai été mal reçu par une femme. Pour l’attendrir, je lui offris une tasse de vin, qu’elle refusa net.
« Vous vous conduisez mal, lui dit d’un ton calme et froid le chef d’Hankadolur, et on en parlera dans le pays. »
Le chef de Selsund était visiblement peiné de l’accueil que me faisait sa femme ; mais pendant qu’elle déblatérait comme une vraie Française, il me prit la main pour me faire comprendre qu’il était à ma disposition ; puis tirant la montre de mon gousset, il me la présenta d’une main, tandis que de l’autre il me montrait l’Hékla, ce qui voulait dire : À quelle heure fautil partir ? J’indiquai le chiffre quatre sur le cadran, et tout fut arrangé. Le chef d’Hankadolur et son fils m’embrassèrent pour retourner dans le bœr ; et après avoir reçu « la bonne nuit » de tout le monde, à l’exception de la femme du chef, qui aurait bien voulu me voir à tous les diables plutôt que dans son terrier, je me jetai sur un tas d’édredons qu’on m’avait mis dans un coin afin de recueillir des forces pour le lendemain.
Je fus réveillé à quatre heures ; on avait préparé du café ; la Niobé l’apporta avec une mauvaise grâce que j’eus soin de ne pas remarquer.
Comme la moitié de l’ascension peut se faire en chevauchant, le chef de Selsund avait préparé ses magnifiques chevaux du nord afin de laisser les miens au repos. On n’en finit jamais avec les préparatifs : aussi était-il près de dix heures comme nous nous mettions en marche. Mon hôte reçut les étreintes de toute sa famille ; ce jour-là personne ne m’embrassa, pas même la vieille femme, et mon comes dut partager ma disgrâce.
Nous nous engageâmes dans des défilés calcinés où l’on ne rencontre parmi les laves que quelques crânes de cheval et des tiges mortes de petit bouleau. Après avoir défilé dans une de ces gorges étroites, on trouve des montagnes de cendres noires qu’il faut gravir et dans lesquelles les chevaux enfoncent jusqu’au ventre. Puis vient une plaine où l’on peut courir tout à son aise pour affronter ensuite de nouveaux étranglements, de nouveaux cendriers.
La tempête durait toujours. Aussi longtemps que nous nous étions trouvés dans les bas-fonds, nous n’avions pas eu à en souffrir ; mais elle devenait de plus en plus insupportable à mesure que nous nous élevions. Vers cinq heures du soir, nous arrivâmes à la dernière limite où il nous fût possible d’utiliser nos montures. C’était un petit plateau couvert d’un peu de gazon ; nous établîmes notre campement au fond d’un retour de lave qui nous mettait à l’abri pour passer la nuit. D’après les observations que je pus faire, le sommet de l’Hékla devait se trouver à deux mille cent dix pieds au-dessus de nous.
Le lendemain, dès le matin, je laissai là mon sequens avec les chevaux et nous continuâmes notre ascension à pied avec le chef de Selsund. Je portais une pique ferrée, une couverture, et mon compagnon était pourvu d’un sac de chasse au fond duquel j’avais mis quelques biscuits, du lard et un demi-litre d’eau-de-vie.
Le vent était tombé, mais à la tempête avait succédé un temps déplorablement brumeux. Nous ne tardâmes pas à rencontrer de grandes flaques de neige. Mon pilote les traversait avec ses souliers en peau de phoque comme si c’eût été un tapis. Je voulus le suivre, mais je n’étais pas de force, et il me fallait marcher le long de la neige dans des tas de cendres et de scories, ce qui était très-fatigant.
Après quatre heures de cette marche pénible, nous arrivâmes au point culminant ; mais comme le brouillard avait augmenté de densité à mesure que nous nous étions élevés, il était impossible de rien voir devant nous. Je contournai sur une certaine étendue les hauteurs que nous venions d’atteindre ; le versant opposé était couvert de neige glacée et semblait de tous les points s’arrondir en amphithéâtre ; à l’épaisse brume qui cachait tout, se mêlait une forte odeur de gaz acide sulfureux ; le cratère devait s’ouvrir là, au milieu de cette tombe neigeuse et à une très-petite distance : nous étions peut-être au bord. Voyant que le brouillard mettait peu d’empressement à se dissiper, je résolus d’aller à tâtons à sa découverte. Je m’engageai avec précaution sur le versant qui s’offrait devant nous ; malheureusement j’y étais à peine que je glissai sur mes deux pieds, et, comme mes mains ne pouvaient rien saisir, je descendais toujours sans savoir où. Instinctivement je plantai ma pique en avant pour m’arc-bouter ; elle se brisa : ma seule ressource fut de m’accrocher à la partie ferrée qui était enfoncée dans la glace, tandis que l’autre roula en s’éloignant.
J’étais là dans une assez fâcheuse position, à cheval pour ainsi dire sur le tronçon de ma pique et n’osant pas faire le moindre mouvement de peur d’ébranler cet unique point d’appui. Heureusement j’avais un guide islandais, un de ces hommes auxquels le mépris de la vie fait braver tous les dangers. Je le vis arriver au milieu du brouillard ; il me tendit son bâton, et je pus, en marchant sur mes coudes et sur mes genoux,