Page:Le Tour du monde - 52.djvu/280

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chers de deux cités surhumaines, comme si les causses dont elles sont le rebord étaient deux Babylones près de crouler de 500 à 600 mètres de haut… »

Maintenant que vous avez vu l’ensemble, j’entrerai dans les détails. En 1879 je n’avais vu le Cagnon que de Sainte-Énimie au Rozier ; en 1883 et en 1884 je visitai de nouveau les gorges, mais alors d’Ispagnac au Rozier et en plusieurs fois je descendis le Tarn de Castelbouc au Rozier, et le remontai du Pas-de-Soucy à Castelbouc ; puis je montai tour à tour sur les deux causses et les bordai de Saint-Georges de Levejac jusqu’à Laval, du Tarn et de la Malène à Montbrun. Si la première fois j’avais été « ébahi », les fois suivantes je fus de plus en plus émerveillé.


Le 31 août 1883, après avoir visité les beaux pâturages de l’Aubrac et croisé une grande partie de la Margeride, j’étais de retour à Mende, et, le temps étant au beau fixe, je partis pour Ispagnac, traversant le causse de Sauveterre par la route de Saint-Flour à Nîmes, ancienne estrade, très améliorée qui, seule autrefois, faisait communiquer la Haute Auvergne avec le Bas Languedoc et, qui probablement était d’origine gauloise. La descente en lacets sur Ispagnac est de toute beauté : à chaque tournant des lacets Le tableau se modifie, tantôt on voit se profiler les hautes murailles des deux causses, tantôt on voit s’ouvrir à ses pieds le petit bassin d’Ispagnac où la ville semble blottie au pied du magnifique rocher rouge, crénelé comme une forteresse, des Chaumettes, qui domine le Tarn de 546 mètres. En face, dans une forêt de noyers, se cache Quézac entre le Tarn et les hautes falaises du causse Méjan.

À onze heures j’étais à Ispagnac. La petite ville, avec ses vieilles maisons, est curieuse, mais il ne reste presque rien de son antique prieuré, dont l’église, dit le père Louvrelœuil, avait été bâtie sur l’emplacement d’un temple des druides, et ses fortifications ont été démolies.

Ispagnac. — Dessin de Vuillier, d’après nature.

À cheval sur l’unique voie de communication ouverte de ce côté entre le nord et le sud, et commandant la route du causse, la ville d’Ispagnac avait une grande importance stratégique ; aussi était-elle, au moyen âge, entourée d’épaisses murailles flanquées de tours. En 562, lorsque le baron d’Alais, avec ses bandes protestantes, vint piller la riche collégiale de Sainte-Marie de Quézac, il n’osa attaquer Ispagnac ; et, plus tard, Mathieu de Merle, l’habile et rapace chef de partisans protestants, maître de Mende, dut attendre l’arrivée du régiment de Gondin pour tenter l’attaque ; mais voici le récit de Gondin lui-même :

« Ledit prince de Condé… commande au sieur Gondin, maréchal de camp, de s’acheminer avec son régiment de huit enseignes du côté de Mende pour aviser à ôter les forts que les catholiques tenaient entre les Cévennes et Mende. Étant arrivé ledit Gondin à Molines (fin de novembre 1580), près la ville d’Ispagnac, et ayant conféré avec aucuns gentilshommes desdits pays des Cévennes, Porquarès s’achemine à Meyrueis pour faire marcher pouldres. Merle va faire partir de Mende deux canons et une bâtarde qu’il avait fait faire et une quantité de balles en faisant fondre la grande cloche tant renommée (la Non-Pareille), Gondin alla bloquer la ville d’Ispagnac avec ses troupes et quelques compagnies du pays. Étant arrivés Por-