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fortunez. Entreprise I.


coin auiſant le ſerpent viure à ſa fantaiſie comme il auoit accouſtumé au troifieſme iour que la faim me preſſoit, ne fcachant qu’eſlire ou la cruauté du dragon, ou l’extremité de la miſere, ie me hazardé & m’approchay de la pierre, eſtimant que poſſible la beſte me viendroit deſtruire, ou ſans m’attaquer me laiſſeroit en paix. Le pauure animal me regardoit aſſez faire, mais il ne ſe bougea. Ie me beſſay pres la pierre & la leché, ayant opinion par l’obſeruation que i’en auois faite, que le ſerpēt viuoit de la ſubſtāce qu’il en ſuccoit, apres l’auoir vn peu lechee ie ſentis en mon eſtomach, vn paiſible allegement, ſi que mon grand appetit fut eſteint : i’eu frayeur de cet accidēt, dont pourtant ie me conſolé, croyãt que le venin refroidiſſant le chaud de mon interieur, me communiquoit le repos de la mort, qui m’eſtoit plus douce en ceſte penſee, que d’eſtre auec douleur deſchiré & tué. Mais ceſte opinion paſſee par le ſuccés, ie me reſolu, & depuis ie ſoulageois ainſi mon deſir, quād la faim m’en ſollicitoit. Quelques iours s’eſtans passez ſans que ma peur le fut, le Dragon s’approcha de moy, me faiſant ſigne de la queuë & de teſte : ie les pris à careſſe, d’autāt qu’il me fit tout au rebours de ce que ie cuidois, parquoy i’obtemperé à ſes façons flatteuſes que ie receu, vſant du reciproque, ſi bien que ie m’appriuoiſay auec lui, tellement que depuis nous frequentions & iouions librement enſemble : il ſe venoit coucher aupres de moy & m’eſchaufoit, ſe mettant entre le vent & moy. Les premiers iours il auoit vn peu l’aleine puante, & cela paſſa peu à peu parce qu’apres qu’il eut digeré l’odeur du ſuc