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LE MENDIANT NOIR

à Mlle de Verteuil pour la reconduire chez elle ; il ne la vit nulle part.

Par contre, il se trouva tout à coup face à face avec M. de Verteuil. À cet instant, il ne demeurait que quelques rares invités qui, par groupes épars, s’entretenaient à voix basse des incidents de la soirée.

— Ah ! monsieur, dit le Lieutenant de Police, je cherchais Mademoiselle de Verteuil.

— Je la cherche aussi, dit Verteuil très pâle.

Se penchant vers Gaston d’Auterive, il demanda d’une voix altérée :

— Eh bien ! avez-vous pu apprendre qui a fait cette calomnie sur mon compte ?

— Pas positivement, monsieur, répondit le jeune homme avec un sourire singulier ; mais je soupçonne fort de ce méfait un individu que vous connaissez bien.

— Vraiment ? Qui soupçonnez-vous et quel est cet individu que je connais ?

— Saint-Alvère ! répondit froidement le jeune homme.

— Saint-Alvère !… fit M. de Verteuil en pâlissant. C’est curieux, ajouta-t-il aussitôt avec un éclair dans ses yeux, j’avais également pensé à lui. Et s’il en est ainsi, mon ami, vous voyez à quelle sottise la jalousie peut pousser un homme.

— Oui, je vois et je sais, répliqua sourdement le Lieutenant de Police, d’autant mieux que votre nièce, ce soir, a dansé avec lui.

— Lui ?… fit interrogativement Verteuil qui n’avait pas paru comprendre.

— Saint-Alvère.

— Ah ! elle a dansé avec Saint-Alvère ?

— Avec Saint-Alvère qu’elle aime… elle me l’a dit !

— Vraiment ? fit de Verteuil qui s’inquiétait de nouveau.

— Et, monsieur, reprit d’Auterive en grinçant des dents, elle a poussé l’audace jusqu’à me menacer de rompre nos fiançailles !

— Mais elle est folle ?

— Elle répète qu’elle ne m’aime pas, que moi, je n’en tiens qu’à sa dot, ce qui est absolument faux. Tout de même, monsieur, si vous n’y voyez pas bientôt, je crains bien que nos ententes et mon mariage avec votre nièce ne tournent en fumée.

— Oh ! ce mariage va se faire, mon ami, gronda sourdement Verteuil, soyez tranquille. Ma nièce m’obéira. Quant à ce Saint-Alvère… pardieu ! l’intriguant apprendra à se mêler de ses affaires !

— Je le souhaite.

— Ah ! à propos, reprit Verteuil en baissant la voix, ce mandat ?

— Contre vous ?

Gaston d’Auterive se mit à rire.

— Monsieur, ajouta-t-il aussitôt, soyez tranquille aussi, vous ne serez pas inquiété, je vous le promets.

— J’aime à vous entendre, soupira fortement Verteuil. Car vous le comprenez, poursuivit-il, pour bâcler votre mariage, pour dompter ma nièce, pour écarter ce Saint-Alvère, j’ai besoin de toute ma liberté.

— Et vous l’avez. Mais, enfin, tout cela ne nous dit pas ce qu’est devenue Mademoiselle de Verteuil.

— Il est possible qu’elle soit partie à notre insu, répondit Verteuil. Si nous allions interroger quelque portier ? suggéra-t-il.

— Oui, grinça d’Auterive, il est possible qu’elle soit partie avec ce Saint-Alvère, ou que Saint-Alvère l’ait enlevée !

— Nous allons le savoir, venez.

Les deux hommes s’avancèrent vers la grande porte. Avisant deux portiers qui causaient à voix basse, le Lieutenant de Police s’approcha pour demander :

— Avez-vous vu sortir Mademoiselle de Verteuil ?

— Tiens ! fit l’un des portiers avec surprise. Au fait, j’ai cru la reconnaître, mais je n’en suis pas bien sûr. Elle est sortie depuis à peine cinq minutes.

— Ah ! ah ! Était-elle seule ?

— Oui, monsieur le Lieutenant. Mais je pense que quelqu’un l’attendait dans la cour d’honneur.

— Vous ne savez pas qui ?

— Je n’ai pas pu bien voir. Assurément c’était un jeune homme.

— Connaissez-vous Monsieur de Saint-Alvère ? interrogea le Lieutenant de Police.

— Non, monsieur.

— Et ce jeune homme et elle se sont parlés dans la cour, dites-vous ?

— Oh ! quelques mots seulement à voix basse. Puis, ils sont partis bras dessus bras dessous.

— Quelle direction ont-ils prise ?

— Ma foi ! je vous avoue que je n’ai pas été curieux…

— La curiosité a parfois du bon, mon ami, dit sévèrement le Lieutenant de Police. Ensuite ?

— J’allais ajouter, monsieur, répondit le portier en rougissant que j’étais sorti pour voir qui était ce jeune homme. Mais lui et