Page:Lebel - Le mendiant noir, 1928.djvu/67

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— J’accepte, répondit le prisonnier.

Vautrin marcha à une tablette, y prit une écritoire et du papier et vint placer le tout sur le guéridon. Puis il délia les deux mains du prisonnier, disant :

— Viens !

Marinier obéit. L’instant d’après, sous la menace d’un pistolet que Vautrin tenait braqué sur lui, le commerçant écrivait d’un main calme…


XII

LA CONFESSION DE JACQUES MARINIER


Une heure sonna à une horloge de la maison.

Durant la demi-heure qui suivit Marinier ne cessa pas d’écrire. On n’entendait que le bruit de la plume courant sur le papier.

Puis Marinier s’arrêta et dit :

— Voilà, Monsieur de Chaumart, la vérité pleine et entière.

— Bien, dit Vautrin. À présent, sur cette feuille de papier écrivez une renonciation de tous vos droits à cette propriété et à vos magasins et marchandises en faveur de Pierre Nolet. Demain, je ferai légaliser cette restitution.

Sous la dictée du jeune homme Marinier écrivit la renonciation. Mais avant de signer il demanda :

— Et quelle garantie aurai-je en retour ?

— La liberté ! répondit rudement Vautrin.

— Soit. Mais les cinquante mille livres ?

— Je vous les remettrai demain à dix heures précises.

— Où ?

— Ici même.

— C’est bien, je prends votre parole.

Et Marinier signa.

Comme il allait se lever, Vautrin lui saisit les mains et les lui lia derrière le dos.

— Ah ! ça, monsieur, cria Marinier avec colère, est-ce là la liberté que vous m’avez promise ?

— Vous serez libre sur le navire qui vous emportera loin de ce pays, pas avant. Et vous ne quitterez cette maison que juste au départ du navire.

— Mais, monsieur, vous me traitez comme un prisonnier et vous me séquestrez sans un mandat à cet effet ?

Vautrin sourit et répliqua :

— J’ai sur moi le mandat signé contre vous de la main de Monsieur de la Jonquière, c’est assez ! Mais si vous préférez le procureur général et le tribunal de justice, libre à vous ?

— C’est bon, maugréa Marinier, je suis votre prisonnier et je compte sur votre parole !

Vautrin fit asseoir le commerçant sur un fauteuil, puis appela ses amis.

Nolet, donnant le bras à sa fille, parut le premier.

En arrière suivait le nain soutenant Philomène, radieuse. Disons que Maubèche ne se ressemblait plus : il était transformé, transfiguré, il apparaissait grandi, et sur ses traits reposait une impression de douce gravité.

— Mes amis, dit Vautrin, je vous prie de vous asseoir et d’écouter la lecture de ces papiers écrits par Jacques Marinier que voilà. Pierre Nolet, veuillez lire ceci d’abord.

L’ancien mendiant prit le papier et d’une voix ferme se mit à lire la confession suivante :

« Dans l’automne de 1740, Jacques Marinier fit la rencontre à Paris du sieur de Chaumart qui arrivait des Indes, où il avait compromis sa fortune par des spéculations malheureuses, et qui s’apprêtait à partir pour le Nouveau-Monde avec l’espoir de se refaire. Au cours de ces mêmes spéculations Jean-Paul de Verteuil, un ancien camarade de collège de Chaumart, et qui avait été surnommé pour on ne sait quels motifs « Maubèche » par ses condisciples, avait perdu toute sa fortune. Totalement ruiné et honteux, il adopta son sobriquet de Maubèche et s’offrit de servir M. de Chaumart comme jardinier. Celui-ci accepta. Jacques Marinier, qui avait appris l’affaire des Indes où il avait un peu connu M. de Chaumart, offrit à celui-ci de lui faire acheter un magnifique domaine en Louisiane pour la somme ridicule de cinquante mille livres, à condition que Marinier serait copropriétaire. M. de Chaumart accepta. Les cinquante mille livres furent versées à Marinier pour défrayer toutes les dépenses. Quelques semaines plus tard Marinier et M. de Chaumart s’embarquaient pour le Nouveau-Monde, accompagnés par Maubèche, sa femme et une fillette d’environ huit ans. L’année d’avant, 1739, Marinier s’était rendu en Louisiane. Il y avait vu un riche et splendide domaine, propriété d’un nommé Pierre Nolet qui y vivait heureux avec sa femme et ses deux fillettes jumelles, Constance et Philomène. Marinier eut vent que la propriété n’avait pas été portée sur les registres et que la prime de prise de possession