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LES AMOURS DE W. BENJAMIN

dait devant elle. Elle avait l’attitude d’une personne à qui l’on a dit :

— Attendez-moi ici, je vous retrouverai tout à l’heure.

Et cette femme attendait ou paraissait attendre.

Mais si la voilette eût été subitement relevée, on aurait pu observer que les regards aigus de la femme se reportaient alternativement sur deux personnages, et ces deux personnages étaient : l’un, le fringant colonel Conrad ; l’autre, un tout petit jeune homme, imberbe, le teint frais et rosé, très joli garçon (et c’est peut-être ce qui attirait les regards de la femme voilée) vêtu d’un habit gris clair, coiffé d’un melon et portant sous son bras gauche une jolie serviette en marocain.

Ce jeune homme, on l’a deviné, était William Benjamin, et la femme voilée n’était autre que la mystérieuse Miss Jane.

Nous avons dit plus haut : « quatre personnages »… en effet, un quatrième personnage, bien connu aussi de notre lecteur, se trouvait là. Mais ce personnage semblait fort chercher à ne pas attirer l’attention sur lui, par le soin qu’il prenait à dissimuler sa présence dans les coins sombres ou derrière les groupes compacts. Ce quatrième personnage s’appelait Fringer… et Fringer observait tour à tour le colonel Conrad et la femme vêtue de noir.

Le colonel allait donc çà et là sans se douter de la surveillance active dont il était l’objet de la part des trois autres personnages.

Il s’arrêta soudain sans pouvoir réprimer un geste de surprise en voyant paraître dans le corridor deux individus qui, chose assez curieuse, ne lui paraissaient pas étrangers. Et ces deux individus étaient nos deux amis Alpaca et Tonnerre.

— Allons ! se dit le colonel avec quelque inquiétude, que viennent faire ici ces deux croquants ?

Miss Jane avait suivi les regards du colonel, et elle jeta un œil scrutateur sur les physionomies de nos deux compères que, d’ailleurs, elle ne connaissait pas.

Fringer avait également suivi les regards de Philip Conrad, et il ne put s’empêcher de tressaillir en apercevant Alpaca et Tonnerre. Il pensa aussitôt :

— Voilà deux oiseaux dont j’ai vu le plumage quelque part !…

Quant à William Benjamin, il esquissa un sourire presque imperceptible aux deux compères qui à leur tour, clignèrent de l’œil. Mais si imperceptible que fût le sourire de William Benjamin, Miss Jane l’avait saisi au bond. Et elle pensa :

— Bon ! entre ce jeune homme — très joli garçon. pour n’en pas disconvenir. — et ces deux lapins, il y a accointance… Nous aurons de l’œil !

Le colonel avait bientôt détaché ses regards des figures placides de nos deux compères, pour aller à la rencontre de James Conrad qui venait d’arriver.

Au même instant, un jeune homme fendait la foule, heurtait rudement Alpaca et Tonnerre qui, non sans surprise, reconnurent leur victime de la rue Dorchester, c’est-à-dire l’avocat Montjoie, et lui, Montjoie, disparaissait derrière une porte qu’il avait ouverte et refermée avec violence.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Dix heures venaient de sonner.

Pierre Lebon, accompagné d’un policier, pénétra dans le couloir. Le jeune homme était pâle, mais il marchait d’un pas assuré, la tête haute, indifférent aux regards curieux qui se fixaient sur lui.

Miss Jane le regarda longuement et attentivement.

Le colonel, à la vue de sa victime, avait poussé son oncle du coude, et un sourire de haine et de triomphe avait glissé sur ses lèvres épaisses. James Conrad n’avait pas osé regarder le jeune inventeur.

Pierre, lui, ne vit pas ses ennemis. Ses premiers regards avaient de suite rencontré les figures placides d’Alpaca et Tonnerre à qui il adressa un petit geste d’amitié. Il disparut bientôt par une porte que le policier avait ouverte et refermée brusquement.

Alpaca poussa Tonnerre du coude et murmura :

— Monsieur Pierre nous a reconnus… c’est courtois de sa part, n’est-ce pas ?

— Oui, Maître Alpaca, très courtois. Il se doute bien aussi que nous ne sommes pas rouillés.

— En effet, Maître Tonnerre, puisque nous n’attendons que le signal de Monsieur William Benjamin que j’aperçois à dix pas derrière nous.

— Et qui nous a souri tout à l’heure. Oui, cher maître, je le vois aussi, seulement il semble regarder curieusement cette jeune femme voilée et vêtue de noir… La voyez-vous, cher Maitre ?

— Je vois bien une femme voilée et de noir vêtue, Maitre Tonnerre, mais rien qui m’indique sa jeunesse.

— Dame ! sa tournure, la grâce et la souplesse de sa taille, tout me laisse deviner dans cette exquise personne une jeunesse éblouissante ! Et, que vous soyez formalisé ou non, Maître Alpaca, je vous le dis en toute vérité : je donnerais volontiers dix Adélines comme la vôtre pour une moitié seulement de cette jolie personne !

— Maître Tonnerre, réprimanda sévèrement Alpaca, vous devenez licencieux !…

— J’exprime simplement mon admiration et mon enthousiasme, cher maître, est-ce péché donc ?…

Laissons les deux anciens pitres et revenons au colonel. Il disait à son oncle :

— Si vous voulez demeurer ici un moment, j’irai aux informations.

— Quelles informations désires-tu avoir ?

— Celle de savoir devant quel tribunal Lebon va comparaître…

— C’est bien, je t’attends, acquiesça l’ingénieur qui se sentait mal à l’aise dans cette foule d’individus de tous étages.

Le colonel s’éloigna.

Cinq minutes se passèrent ainsi, lorsque Pierre Lebon reparut toujours escorté de son policier. Il traversa le corridor central, enfila un petit couloir transversal, et, la minute suivante, le policier l’arrêtait devant une solide grille de