Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/104

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Un mois avant la date fixée pour le mariage, j’obtins de Mme Brial qu’elle me confiât sa fille. J’avais un vif désir de lui montrer Guérande, la merveilleuse ville ceinturée de remparts. Il fut décidé que Mme Brial s’y rendrait par le chemin de fer et nous attendrait sur la route, en dehors des murailles. Madeleine et moi — à cet effet, j’achetai un avant-train pour mon tricycle — nous ferions le grand détour de la presque île de Rhuis.

C’est un trajet magnifique. Jamais je n’oublierai le silence de ces premières heures matinales, De temps à autre, Madeleine se retournait vers moi et souriait. Je tremblais de joie.

Mais devant les ruines formidables de Luccinio, notre enthousiasme éclata en cris d’admiration. Quand nous l’eûmes visité jusqu’en ses moindres détails, il était onze heures. Il nous restait à parcourir une vingtaine de lieues, et dans le pays le plus désert et le plus pauvre qui soit. Prévenu, j’avais emporté des provisions et nous nous réjouissions de cette halte prochaine au revers de quelque talus.

De petites montées, de petites descentes. Nous allions vite, mais prudemment ; j’étais si content du trésor dont j’avais pris la responsabilité.

Un moment, elle me demanda sans se retourner, et me tutoyant pour la première fois :

— Dis-moi que tu m’aimes, dis-moi que tu m’aimes plus que je ne t’aime.

À cette seconde précise, un chien passa devant nous. Je fis un écart trop brusque. La machine culbuta.

En réalité la chute fut si douce, et je me relevai si aisément, que j’eus presque envie de rire. Je m’approchai de Madeleine, lui disant :

— Nous en avons de la chance !

Pourtant elle ne bougeait point. Je m’inclinai et la soulevai. Un peu de sang coulait sur sa figure. Elle eut une convulsion. Un instant après, c’était fini, elle était morte !