Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/108

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mais Achille, à la fin, s’impatienta. Interpellant Héloïse, la servante, un pauvre petit être souffreteux que l’on accablait de besogne du matin au soir, il lui dit :

— Va donc voir ce que fait Madame Boulingrin.

Diane, grosse personne courtaude, d’une quarantaine d’années, de figure inexpressive et luisante, Diane, toute prête, eût fort bien pu descendre, mais un spectacle passionnant la retenait devant son armoire à glace : elle venait de mettre pour la première fois son costume de cycliste.

Il lui allait vraiment à merveille. La culotte bouffante doublait l’énormité de sa croupe, et faisait valoir la ligne puissante de ses chevilles. Le boléro, très court, accusait la forme massive d’un dos plus large que haut et les beautés d’un corsage dont l’abondance naturelle était célèbre dans la région. Petit col droit qui sciait cruellement l’épaisseur du cou, petit canotier juché à l’extrême pointe d’un chignon joliment pommadé, petits souliers à barrette, au-dessus desquels la graisse des pieds débordait comme un double menton, tout cela l’enchantait.

— Eh bien quoi ! cria M. Boulingrin, tu veux donc nous faire manquer le plus fort du marché ?

Oh ! non, elle ne le voulait pas. Autant que lui, elle tenait à ce qu’on les vit passer sur la place, et surtout à l’instant où le marché battait son plein. Elle se dépêcha donc, jeta un dernier coup d’œil à son miroir, prit une paire de gants neufs, et descendit rapidement.

— Voilà, chéri, j’arrive.

Mais, dans sa hâte, au tournant de l’escalier, elle trébucha, piqua une tête, et roula jusqu’au bout du vestibule. Entendant le vacarme, Achille accourut.

— Je n’ai rien, gémit-elle, sans pouvoir se relever, je n’ai rien.

Si, elle avait quelque chose, ainsi que le constata le docteur, une demi-heure après ; elle avait la jambe cassée.