Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/115

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Alors, je me promenai dans la campagne, et comme il faisait très chaud, je me dirigeai vers un petit bois de sapins dont la solitude m’attirait souvent.

Dès l’entrée, je fus étonnée d’y entendre du bruit. Je m’avançai vers l’endroit d’où il me semblait que cela provenait, et je distinguai peu à peu le cliquetis du fer que l’on frappe. Tout de suite l’idée me vint que mes deux amis, au lieu d’aller à leur leçon d’escrime, s’étaient donné rendez-vous en ce bois pour s’y livrer à quelque assaut en plein air.

Je ne me trompais pas. Ils étaient là tous deux, au croisement de deux sentiers, campés l’un en face de l’autre, et l’épée à la main. Et quelles épées ! des rapières d’anciens preux, plus longues qu’ils n’étaient grands.

— Eh bien, leur dis-je, une passe d’armes en mon honneur, et l’on ne me prévient pas ? Ah ! je vois la raison : pas de gants et pas de masques, malgré les ordre donnés… Enfin, pour une fois…

Ils ne s’étaient pas arrêtés à mon approche, et j’aurais cru qu’ils ne m’avaient point vue, si leur combat n’avait redoublé d’acharnement, Ils attaquaient et se fendaient avec une fureur silencieuse, et sans qu’aucun d’eux rompît d’une semelle.

Comme ils étaient charmants ainsi, mes deux chevaliers, en culotte courte et les bras nus émergeant de la chemise de flanelle ! Je cueillis un rameau de chêne et prononçai :

— Pour le vainqueur !

Ils se ruèrent l’un sur l’autre. Deux cris… non, Louis et Gaston ne criaient point… deux gémissements étouffés, les épées tombèrent de leurs mains, leurs genoux fléchirent, et, tout chancelants, ils s’en allèrent tomber des deux côtés du carrefour.

Ils s’étaient battus avec des épées démouchetées.