Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/124

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à autre, et, sur l’ordre de sa volonté, tout changeait, le sens du vent et des nuages, la place du soleil et la ligne de l’horizon. Heures vraiment inoubliables ! Elles effacent les jours sans fin que passent dans l’attente douloureuse du fiancé qui ne vient pas les pauvres vieilles filles de province.

Et il y en eut d’autres, et chaque fois qu’elle le voulut. Elle lui disait au déjeuner — car il mangeait à table maintenant — « M. Paul, si cela ne vous ennuie pas trop aujourd’hui de me conduire… ». C’étaient à peu près les seules paroles que sa gorge serrée lui permit d’exhaler. En promenade, elle ne soufflait mot. Elle se faisait toute petite à ses côtés. Mais comme son âme s’agrandissait ! Comme elle sentait l’infini des choses !

Elle le trouvait plus beau que tout, et si grave ! Elle le devinait aussi très doux et très honnête, et sa tendresse pour lui avait quelque chose de maternel.

Et le soir on rentrait en ville, entre le double regard des fenêtres malveillantes. Mademoiselle ne doutait pas des méchancetés que l’on débitait sur son compte. Quelques-unes revinrent à ses oreilles. Que lui importait !

Mais un jour, comme ils s’étaient aventurés à plus de douze lieues de Thibermont, il y eut une panne. Durant six heures Paul travailla, démonta, rajusta, tâtonna. En vain. La nuit arrivait. Il fallut, avec l’aide de deux chemineaux, pousser la voiture jusqu’au village voisin. Misérable village, dont l’unique auberge n’offrait que deux chambres séparées par une mince cloison ! Mademoiselle s’installa sur un fauteuil sans se dévêtir, et attendit que l’aube se levât.

Ainsi donc, pour la première fois depuis la mort de sa pauvre mère. Mlle de Robec passait une nuit en dehors de chez elle, et dans quelles conditions, mon Dieu !