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CONTES DU SOLEIL ET DE LA PLUIE

Le Gibier Défendu

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C’était l’ouverture de la chasse au château. À dix heures, selon la règle établie par le comte, un grand déjeuner réunissait ces messieurs ; à midi l’on partait,

Après quelques hésitations et, de la part de la comtesse, une certaine opposition, on avait invité le peintre Verdol, esprit paradoxal et caustique, qui agaçait fort les intimes de la maison, à Paris, mais brillant causeur, personnalité illustre, et dont le nom ferait bon effet dans les comptes rendus que publieraient les journaux.

On passait à table quand il arriva, le train ayant eu du retard. Le repas fut bruyant. Chacun des hôtes avait plusieurs histoires de chasse à raconter, et ce fut dès l’abord une salve de coups doubles, un carnage de perdrix tuées à cent pas, une mêlée tumultueuse où tombaient foudroyés lièvres, lapins, faisans et chevreuils. La comtesse, indifférente comme toutes les femmes à ces récits, regardait pensivement, dans une glace accrochée au mur opposé, sa jolie tête de blonde aux grands yeux bleus. Verdol se taisait.

Le comte en fit la remarque.

— Eh bien ! quoi, Verdol, pas un seul exploit cynégétique à nous mettre sous la dent ?

— Je ne chasse pas, répondit-il.

On s’exclama. Le comte reprit :

— Comment ! vous ne chassez pas, vous, un passionné de plein air, vous qui pratiquez tous les sports ?

— Tous, en effet.

— Eh bien ?

— Vous n’allez pas jusqu’à prétendre, je suppose, que la chasse est un sport ?