Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/153

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en vain. Il me fallut marcher, marcher encore. Puis je tournai. Quelques minutes après, tout frissonnant de fièvre, posté sur le trottoir opposé, je contemplais le numéro 54 de la rue des Dames, étroite maison, d’aspect pauvre et triste dont le couloir d’entrée longeait une boutique de fruitière.

Il me sembla constater que des gens entraient et sortaient en nombre anormal, des amis, des parents sans doute. Ma gorge se serra. Une immense pitié m’envahit, et je fis un pas en avant.

Mais non, c’était absurde. À quoi bon, puisque personne ne savait, puisque moi-même j’oublierais… ?

Une voiture passait. Je sautai dedans en donnant mon adresse.

Et voici qu’au détour de la rue je criai au cocher d’arrêter. Je descendis de fiacre et, sans plus d’hésitation, dompté par une idée de devoir plus forte que tout, plus forte que mes instincts, que ma peur, que ma lâcheté d’homme, je retournai vers la maison, m’enquis auprès de la concierge, montai les cinq étages, et sonnai.

— Madame Maréchal ? demandai-je à la vieille femme qui m’ouvrit.

Elle me fit entrer dans une pièce froide et mal meublée et me dit :

— Je vais prévenir ma fille, elle est auprès de notre pauvre enfant.

Au bout d’un instant Mme Maréchal sortit de la chambre voisine. C’était une femme encore jeune, au visage doux et mélancolique. Elle avait dû pleurer beaucoup, Car ses yeux étaient encore rouges et ses joues comme luisantes de larmes.

Elle murmura :

— Vous désirez me parler, Monsieur ?

Je la regardai encore quelques secondes, le cœur étreint d’angoisse. Ainsi c’était là le pauvre être douloureux dont j’avais brisé la vie ! Une fois encore, quelque chose me conseilla le silence. Faiblesse suprême… Mme Maréchal répéta la question et je répondis :