Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/163

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Ce fut donc une véritable partie de plaisir que cette excursion sur la Seine gelée, plaisir qui n’était point sans quelque péril, car on nous avait prévenus qu’il y avait de longues crevasses à éviter, des endroits moins sûrs que rien n’indiquait. Je fus un peu étonné dès l’abord ; je m’attendais à de vastes champs de glace unie et miroitante qui s’étendraient à l’infini devant nous, et c’était au contraire un désordre prodigieux. Les glaçons avaient monté les uns par dessus les autres, des amas de neige s’étaient accumulés et durcis à certaines places, de telle sorte qu’on ne distinguait même plus le cours du fleuve entre ses rives ordinaires, et que tout cela ne composait qu’un formidable chaos, paysage de pôle Nord que ma mémoire n’a pas oublié.

Et combien peu propices au patinage étaient ces rudes escarpements ! Il fallait plutôt, pour les franchir, des qualités d’alpiniste. Cependant rien n’eût pu altérer notre bonne humeur. On tombait, on riait, et l’on se ramassait.

Georges marchait en avant. Ainsi l’avait voulu sa femme.

— Tu nous serviras d’éclaireur. Au moins, s’il y a un passage dangereux, un trou imprévu, nous serons avertis.

Et en disant cela, ses mains, qui tenaient la main de Raymond et la mienne, nous avaient serrés nerveusement.

On arriva au pont du chemin de fer. De l’eau apparaissait autour des piles. Des craquements se faisaient entendre, sinistres. Georges s’engagea rapidement, d’un vigoureux coup de patin. Nous le suivîmes les uns après les autres.

Puis on longea des groupes d’arbres qui marquaient la place de petites îles. Dans l’une, à l’abri d’un baraquement, on s’arrêta pour goûter. J’ai encore dans l’oreille le bruit de nos rires, celui d’Henriette surtout ! Il était si frais, si ingénu !