Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/175

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Cette année-là nos cousins de Croixdalle vinrent passer les vacances avec nous. La petite troupe des Mohicans se compléta donc des trois frères Balle-Franche, Bois-Rosé, Bas-de-Cuir, et de ma cousine Brise-du-Soir. N’oublions pas le fils du valet de chambre, dit le Rat-Musqué, qui portait nos munitions de guerre et surveillait l’ennemi du haut du donjon.

L’ennemi, c’était la bande d’Apaches que nous avions formée avec les gamins du village. Il y avait là le Ruisseau-Fuyant, Sabot-d’Antilope, Fil-de-Serpette, et combien d’autres héros ! Comme femmes, Églantine-des-Bois et Douce-Lumière.

Le grand chef des Apaches avait nom le Jaguar. Celui-là, vraiment, ma cousine Brise-du-Soir et moi, nous en avions peur, et les hommes le redoutaient. Dans les assauts que l’ennemi livrait aux Mohicans fortifiés sur la butte qui est au bout du parc, il arrivait que les Mohicans avaient le dessous, non qu’ils cédassent au nombre, mais tellement le Jaguar avait de fougue, d’audace, de ruse, d’invention, de coup d’œil.

Petit pâtre des environs, à figure plutôt placide, il n’était pas plus fort que mes compagnons, mais il les dominait par une énergie en quelque sorte fanatique. Entre ses mains le sabre de bois peint et la hache en carton recouvert de papier d’argent prenaient des flamboiements d’acier, En outre, le Jaguar avait de la rancune, des haines violentes, et un besoin farouche de se venger quand on l’avait offensé.

Or, nulle offense ne pouvait lui être plus sensible que celle qui fut faite à sa petite amie Douce-Lumière. Un matin, Douce-Lumière fut ravie par les Mohicans, attachée solidement sur le dos d’une énorme truie et lâchée à travers le village.

Le Jaguar jura que les représailles seraient terribles. « Œil pour œil, dent pour dent ! s’écria-t-il. Que les Mohicans gardent bien leurs femmes ! »

La menace épouvanta Brise-du-Soir et Frisson-de-Lune, c’est-à-dire ma cousine et moi.