Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/177

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

défendre. D’ailleurs, n’avais-je pas le poison de ma bague ?

La vérité m’oblige à dire que le Jaguar se conduisit, pour un Apache, en vrai gentilhomme. Pas une fois il ne franchit le seuil de la grotte. Si bien qu’à la longue je finis par me rassurer. Et même, épuisée de fatigue, je m’endormis en rêvant que mes amis les Mohicans ne pouvaient tarder à me délivrer et que Balle-Franche, Œil-de-Faucon et les autres, armés jusqu’aux dents, devaient être déjà sur la piste de Frisson-de-Lune.

Et, de fait, au petit matin, je fus réveillée en sursaut par des éclats de voix. Je me précipitai vers l’entrée. Le Jaguar était là, un fusil, un vrai fusil à la main. En face, à quelque distance, je reconnus mon père qui s’avançait à la tête des Mohicans.

— Un pas de plus, hurla le Jaguar, et je tire !

Il épaula. Les assaillants s’arrêtèrent, mais soudain, de leur groupe, quelqu’un se détacha, une petite forme frêle qui vint en courant vers la grotte, C’était Douce-Lumière. Et je l’entendis qui disait à son ami le Jaguar :

— Allons, laisse-la partir, on ne rira plus de moi maintenant au village. Tu m’a vengée. C’est moi qui les ai conduits ici.

Il sembla hésiter, puis murmura :

— Tu as raison, d’autant plus que mon fusil n’est pas chargé.

Alors Douce-Lumière prit le Jaguar par la main. Ils s’en allèrent tranquillement. Et c’est ainsi que Frisson-de-Lune, après une nuit de captivité, fut rendue à la liberté.