La comtesse se tut.
Quelqu’un demanda ;
— Et les Apaches, que sont-ils devenus ?
— Ma foi, répondit-elle, la vie les a un peu dispersés. Cependant vous pouvez admirer à son comptoir Sabot-d’Antilope, aujourd’hui épicier,
Fil-de-Serpette n’est autre que mon jardinier.
— Et Douce-Lumière ?
— Douce-Lumière vient au château deux fois par semaine. C’est la marchande de fromages.
— Et le Jaguar, le terrible Jaguar, votre ravisseur ?
— Ah ! pour le Jaguar, j’ai promis le silence, et à moins qu’il ne m’y autorise…
— Allez donc, madame la comtesse, dit le curé, tout cela est si loin !
On le regarda avec stupéfaction. L’abbé Trousseau a certes la figure la plus bonasse que l’on puisse voir. Il est gras, petit, débonnaire et timide. Était-il possible ?…
— Eh mon Dieu, oui, s’écria la comtesse, mon ravisseur, le chef des Apaches, le terrible Jaguar, c’est monsieur le curé.
Nous n’en revenions pas. L’abbé Trousseau transformé en Peau-Rouge !
Le Jaguar huma une prise de tabac et soupira :
— Madame la comtesse a dit vrai. J’ai été le pire des garnements. Et si la Providence ne m’avait pas accordé la grâce d’y voir un peu clair dans ma conscience vers l’âge de dix-huit ans, je ne sais trop ce que je serais à l’heure actuelle.
— Un véritable Apache, peut-être, hasarda Frisson-de-Lune.