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Course à reculons, meilleur moyen de développer le sens de la direction, chose si importante, et de fortifier la hardiesse du coureur (système Redoré).

Course avec obstacles, saut en hauteur et en largeur, luttes athlétiques ; le programme se déroula dans l’ordre le plus parfait. Il n’y eut point d’accrocs, ou du moins que peu d’accrocs. Ainsi, au numéro du « grimpement accéléré aux arbres », le jeune Vêtu tomba d’un sapin et se cassa une jambe.

Au numéro de la « lutte olympique », les deux athlètes Duramé et Fessard, éblouis par le lot de cannes et parapluies qui constituait l’enjeu de leur match, témoignèrent d’une ardeur si cupide, d’une rage si déloyale, que Duramé eut une épaule démise et Fessard un œil crevé.

M. Redoré expliqua que c’étaient là de ces petites misères inhérentes à toute manifestation sportive sérieuse. On grogna bien un peu, on lui lança bien quelques cailloux, dont l’un lui fracassa le nez. Mais il ne sentit rien. Il était radieux. Un orgueil légitime le gonflait. Somme toute, cette journée avait-été le couronnement de son labeur, une véritable apothéose.

Il n’estima point qu’il l’avait payée trop cher quand, après quelques mois de procès terminés par une transaction définitive, il dut verser 2 000 francs au jeune Vêtu pour ses jambes, 1 000 à Duramé pour son épaule, 3 000 à Fessard pour son œil, et cinq mille à la veuve Lebouteux, dont le fils, au numéro du « passage de la rivière après quatre cents mètres d’emballage », attrapa une fluxion de poitrine dont il mourut.

Il n’y eut évidemment pas de seconde fête annuelle, et plus jamais M. Redoré ne s’occupa de l’amélioration sportive de Gourel. Mais enfin il y avait consacré une année de sa vie et un bon morceau de sa fortune. Une telle conduite méritait d’être citée en exemple.

Maurice LEBLANC.