Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/218

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Vivre auprès d’un tel homme et lui appartenir, c’était un supplice d’enfer. Si stupide qu’il fût, Caorches ne s’illusionna pas sur les sentiments qu’il pouvait inspirer à Régine. Du premier jour, il la tint prisonnière dans son château, la séparant du monde entier, fou d’amour, mais d’un amour qu’il lui était impossible de manifester autrement que par de la haine.

Il n’avait d’autre idée qué de la torturer, d’autre joie que ses larmes. Tout ce qui indiquait en elle de la souffrance et du désespoir, la répulsion même qu’il lui inspirait, le tremblement nerveux qui la secouait à son approche, tout cela le délectait comme des hommages à sa toute-puissance.

Geôlier infatigable et soupçonneux, il avait renoncé aux chevauchées qui l’éloignaient trop longtemps du château, et s’était commandé une automobile, une voiture formidable, disproportionnée, monstrueuse comme lui difforme et stupéfiante, une chose de fer, rouge-sang, toute en longueur, et creusée, un peu sur la droite et très en arrière, d’un siège unique, ce qui lui donnait un air borgne et inquiétant.

Chaque jour, au galop de ces 80-chevaux, il dévorait en une heure les vingt-cinq ou trente lieues qui étaient devenues pour ainsi dire nécessaires à son appétit de mouvement et d’activité. Et repu d’espace, ivre de vitesse et de tumulte, il revenait en toute hâte s’enfermer auprès de sa victime. Ah ! l’angoisse de Régine quand elle entendait sur la grand’route les hurlements de la bête !

Et voici qu’elle n’était plus malheureuse ! La pâle et maladive créature reprenait des couleurs. La vie fleurissait en elle de nouveau. Elle souriait. Quelle fureur le jour où Caorches le surprit, ce premier sourire ! Il bondit sur elle et la saisit de ses doigts crispés. Elle sourit encore. Il la regarda longtemps, avec Stupéfaction, puis peu à peu desserra Son étreinte. Il ne comprenait pas.