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CONTES DU SOLEIL ET DE LA PLUIE

LA MYSTÉRIEUSE

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J’allais à belle allure, le volant bien en main, chacun de mes sens à son poste, l’esprit vigilant, maître des choses et de moi-même, heureux de vivre. La route était large et droite. L’espace m’appartenait. Il n’est point de sensation de liberté plus grande et plus délicieuse.

Et soudain, d’un petit bois qui surgit à ma droite, quelque chose se précipita qui vint s’abattre à dix pas en avant de ma voiture, sous elle, puis-je dire.

Par quel miracle me fut-il possible d’éviter cet obstacle, sans pourtant que la brusquerie de l’écart me brisât contre la ligne des arbres ? Cent mètres plus loin je m’arrêtai. Malgré la rapidité de l’événement et mon trouble, j’avais eu la vision très nette d’une forme humaine qui se jetait en travers de la route, une femme, m’avait-il semblé.

Je ne m’étais point trompé. Je trouvai la malheureuse évanouie. Un peu de sang coulait d’une blessure qu’elle s’était faite au visage. Je m’assurai que ce n’était point grave. Je soulevai sa tête. Je lui fis respirer des sels. Après quelques minutes elle reprit connaissance. M’ayant regardé longtemps, d’un air étonné, qui ne comprenait pas, elle se mit bout à coup à me supplier :

— Ah ! Monsieur, emmenez-moi, emmenez-moi… il fallait me laisser mourir… pourquoi ne suis-je pas morte ?… emmenez-moi… j’ai peur… On va venir… je ne veux pas rester…

Il y avait dans sa voix et dans ses gestes une épouvante qui me frappa. Je fus sur le point de l’interroger, mais elle était debout déjà et courait vers l’automobile comme si on l’avait poursuivie. Elle monta dans la voiture et s’y installa. Je tentai de parler.