Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/248

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Mon Dieu ! ce mot d’enlèvement la faisait trembler des pieds à la tête. On l’aimait tellement, on la trouvait si charmante qu’on était prêt à se jeter pour elle dans les aventures les plus périlleuses et les plus extraordinaires !

Ah ! Hermine, cette récompense était due à votre vertu obstinée, à vos espoirs tenaces. Depuis assez longtemps vous attendez que l’oiseau bleu voltige autour de la fenêtre de votre chambre virginale, aux rideaux bien blancs, au parquet bien ciré, aux bonnes odeurs de lavande et d’alcool camphré ! Pourquoi, hélas ! faut-il que votre devoir de femme vous oblige à repousser impitoyablement un hommage que votre cœur, vos songes, vos désirs, toute votre âme d’amoureuse incomprise, accueillent avec tant de faveur ?

Et le lendemain Mlle Frivolet demandait à son vieil ami Chanoine des conseils sur le choix d’une bicyclette.

Chanoine habitait, à l’extrémité de la petite ville, une délicieuse maison, claire et fleurie, dont il rêvait, depuis quinze ans, d’offrir à Hermine les meubles en palissandre, les tentures de reps, les herbiers et les collections de cailloux. Maintes fois Mlle Frivolet avait refusé, peu soucieuse d’unir son sort à celui de ce bonhomme, assurément honnête et plein de qualités, mais d’esprit terre-à-terre, maniaque, sans idéal et sans imprévu, et puis si maigre, si totalement dénué de Séduction |

Après avoir excipé de son ignorance en matière de bicyclette, Chanoine se rendit aux instances de Mlle Frivolet, et, deux jours après, celle-ci achetait une excellente machine de dame, coquette et solide, dont elle se promit bien de ne jamais faire usage. Pourquoi s’en servir puisqu’elle s’était juré de ne pas aller à ce rendez-vous ?