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« Demain matin, six heures, à l’ancienne porte du Saut-de-Loup. »

Dans le paquet, entre deux cartons, une photographie.

Je n’oublierai jamais l’émotion violente que j’éprouvai devant ce portrait de femme. Ni l’extrême beauté du visage, ni la séduction adorable du sourire, ni la grâce des épaules nues, ne suffisent à expliquer un trouble aussi profond. Je sentis réellement ce qu’on est convenu d’appeler le coup de foudre, et, chose étrange, je le sentis en face d’une simple image.

Mais qui était-ce ? Quelle hâte j’avais de le savoir ! Au village, où je montrais la photographie, prétendant l’avoir trouvée sur la route, on me dit aussitôt :

— Mais c’est la comtesse de Laubérun.

Et dès que je le sus, je me rendis compte que cela m’était absolument indifférent, que tout m’était indifférent, le nom de cette femme, sa situation sociale, les obstacles qui nous séparaient. Une seule chose m’importait, c’était de la voir, de la ravir à tous, au monde entier.

La nuit s’écoula, interminable. Il me semblait impossible, qu’à la dernière minute, il ne surgît pas un événement qui détruisit à jamais mon espoir.

Enfin l’heure sonna. Je montai dans mon automobile et j’allai me poster non loin du Saut-de-Loup. Il y avait à un reste des anciens fossés, un peu d’eau endormie que franchissait un pont de bois fermé par une petite porte moisie.

J’attendis quelques instants. Le jour commençait à peine à se lever. L’horloge de l’église tinta six fois. Au dernier coup, la porte s’ouvrit. La comtesse courut vers moi.

Je distinguai tout au plus, dans l’ombre des grands arbres qui nous entouraient, sa silhouette légère et rapide. Elle me parut petite. D’amples vêtements, un voile, l’enveloppaient, cachant sa taille et son visage.