Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/325

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Une femme ! La lettre d’une inconnue ! Malgré soi on s’émeut de toucher à ce que toucha les mains d’une femme, de regarder les lignes qu’elle traça. Qui est-elle ? pourquoi s’occupe-t-elle de vous ? Que peut-on espérer de cette amie invisible et lointaine ?

Je ne suis pas fat. Cependant il me fallait bien admettre que tout cela avait une apparence de rendez-vous, c’est que l’on s’intéressait à moi, que je plaisais… Dame !

Le onzième jour, je consultai l’indicateur et marquai le train le plus commode, le train d’une heure vingt, celui que ma correspondante s’attendait évidemment que je prisse.

Je ne le pris point, et le douzième jour non plus, ni le treizième. Mais le quatorzième, la croix au crayon rouge était soulignée brutalement de trois barres. Je ne pus résister. Une curiosité trop forte me poussait. Je partis.

J’arrivai à Motteville à quatre heures trente. Trois ou quatre kilomètres me séparaient du carrefour indiqué. J’avais emporté ma bicyclette ; ce fut l’affaire d’une douzaine de minutes.

À mesure que j’approchais, cependant, une inquiétude grandissait en moi. Ma conduite me semblait pas trop naïve. Aurais-je dû m’embarquer dans cette aventure sans renseignements précis ? Qui me certifiait que j’avais compris le signe énigmatique, et qu’il y aurait quelqu’un là, à l’embranchement des deux routes, et justement à cette heure de la journée ?

Il y avait quelqu’un, une femme.

Je le confesse, mon émotion fut profonde en la voyant. J’eus l’impression d’un succès, d’une victoire sur le destin, comme si j’avais violenté l’ordre des choses en devinant ce qu’il n’était point facile de deviner.

Elle aussi, l’inconnue avait sa bicyclette. Je n’eus pas le temps de distinguer ses traits, car, dès qu’elle m’aperçut, d’un geste elle me fit signe de la suivre et se mit en selle.