Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/334

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Je jouissais profondément du charme infini de la vitesse, la pensée pour ainsi dire fluide, éparse, répandue autour de moi et mêlée aux choses.

Soudain, un chien bondit d’un côté à l’autre de la route. Il y eut un écart brusque. La voiture entra de biais dans un talus de sable qui amortit son élan, et nous fûmes projetés assez doucement sur de la terre très molle.

Aussitôt debout je m’occupai de mes compagnons. Les deux hommes se relevèrent, sains et saufs, mais la femme ne bougeait pas.

Très inquiet, le mari se pencha sur elle. Elle n’était qu’évanouie. Il l’entendit même qui prononçait quelques mots. M’autorisant de mon titre de docteur, je proposai mes soins, mais nous résolûmes d’abord de la transporter dans une auberge qui se trouvait justement à proximité.

Le trajet lui fut pénible. Elle ne cessa de gémir, comme une personne qui souffre beaucoup. On ne l’avait pas étendue sur un lit qu’elle perdit de nouveau connaissance.

Je priai son mari de la dévêtir, car elle devait avoir du mal à respirer sous ses fourrures. Moi-même je rabattis son capuchon et détachai le masque de dentelles et de mica qui lui couvrait le visage.

Un cri de stupéfaction m’échappa. J’avais reconnu…

Il faut que je vous rappelle… Mais vous savez tous, n’est-ce pas, l’histoire de mon mariage, le désaccord qui se produisit entre ma femme et moi après quelques années d’union parfaite, puis notre divorce, l’an dernier. Et vous comprenez… cette femme que je soignais était la mienne.

C’était aussi celle de M. Paul Chantelin, son second mari. Effrayé par mon exclamation, il s’était relevé.