Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/344

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Cela me parut délicieux. Notre automobile ne fut pas seulement affectée à des courses utiles entre mes diverses fermes. De charmantes promenades me firent connaître tout le pays à vingt lieues à la ronde. Céline, infatigable, proposait chaque jour une nouvelle excursion. Tout chemin ignoré lui semblait indispensable à parcourir. Elle s’y engageait au hasard. Et le mieux, c’est qu’après les détours les plus compliqués elle ne se perdait jamais. Le sens de la direction se développait en elle également.

Mais d’ailleurs, le sens de toutes les choses se développait en elle. Sa nature s’affirmait de la façon la plus catégorique. Plus de flâneries. Elle devenait active et curieuse. Souvent sa volonté se heurtait à la mienne, et je n’avais pas toujours le dessus, loin de là. Je finis même par avoir le dessous d’une manière à peu près constante. J’avais beau me rebiffer. Il fallait céder. C’est qu’elle savait commander maintenant, la mâtine ! exiger, se faire obéir et servir !

Et il arriva peu à peu, sans qu’il me fût possible de résister à cet envahissement progressif, qu’elle s’empara de toute l’autorité domestique. Elle fut tout, le ne fus plus rien. Accoutumée à tourner à droite quand elle le voulait, à gauche quand elle le préférait, à ralentir ou à précipiter l’allure, tandis que moi je restais à ses côtés, inactif et soumis, elle nous considéra, par un phénomène très explicable, sous un aspect absolument différent : elle comme le principe d’énergie qui mettait tout en mouvement, moi comme un rouage inutile et encombrant.

Et nous en sommes là. Certes, on s’entend admirablement, mais à la condition qu’elle parle et que je me taise, qu’elle ordonne et que je me résigne. Elle est celle qui dirige, je suis celui qui se laisse diriger. Elle a le verbe haut, les gestes dominateurs. Bref, si je puis m’exprimer