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CONTES DU SOLEIL ET DE LA PLUIE

LE BON CHAUFFEUR

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Il faut être bon. Je suis bon. Je le suis par raisonnement, et tout autant, sinon davantage, par tempérament. Mon instinct m’ordonne la bonté, me condamne à la bonté la plus absolue. Donc, c’est entendu, je suis bon.

Mais enfin il y a une limite au delà de laquelle la bonté devient de la bêtise. Et, pour ce qui est du cas présent, j’avoue tout crûment que j’en ai par-dessus la tête d’être bon, que j’envie la dureté des méchants, et que je voudrais être cruel et implacable pour sortir de la situation absurde, folle, invraisemblable, où m’a placé mon insipide bonté.

C’est en mai, il y a donc onze mois, que le hasard de mes vagabondages à travers la France me fit passer, en automobile, près du village de Clairfeuille. Il y a là un tournant un peu court. Je le pris trop brusquement. Les roues effleurèrent le talus, un soubresaut se produisit, et mon mécanicien, qui était assis sur le marche-pied, fut projeté hors de la voiture.

Il se cassa la jambe.

L’accident eut lieu juste en face d’un ancien château légué par son dernier propriétaire au département, et transformé en hôpital. Cela tombait à merveille. Dix minutes plus tard, deux infirmiers transportaient Aristide, mon mécanicien, dans un dortoir parfaitement aménagé.