Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/355

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Une opération fut jugée nécessaire. On la fit le lendemain. Moi je couchai à l’auberge de Clairfeuille. Mais le surlendemain, quand j’allai dire adieu au malade, il me supplia de ne-pas l’abandonner. Un mois dans cette vieille bâtisse, parmi des gens qu’il ne connaissait pas, c’était trop triste. Il en mourrait. Tandis que si son maître condescendait à lui rendre chaque jour une petite visite, quelle consolation ! Comme les heures lui sembleraient brèves !

Je suis bon. La prière de ce brave garçon me toucha. J’y accédai, mais comme l’auberge ne m’offrait qu’un bien-être fort relatif, et que le pays me plaisait infiniment, je louai pour la saison d’été une jolie maison blanche qui se trouvait à proximité de Clairfeuille.

J’y passai des jours agréables que marquait l’accomplissement régulier d’un devoir qui m’était doux. Chaque après-midi je tenais compagnie à Aristide.

Que d’excellentes natures on découvre parmi le peuple ! Loyal, dévoué, d’humeur joyeuse, Aristide méritait vraiment qu’on s’attachât à lui. Je m’y attachai. Et tout le monde autour de lui s’y attacha, ses voisins de lit, ses camarades de dortoir. Il se forma un petit cercle d’amis empressés où moi-même je me trouvai fort à l’aise. Je m’attardait souvent auprès d’eux par plaisir. C’était délicieux, le contact de ces âmes simples !

Au bout d’un mois Aristide se levait et commençait à marcher, appuyé sur une canne. Je me mis aussitôt à sa disposition pour l’emmener en automobile. Il eut la gentillesse d’accepter.

Cette promenade se renouvela quotidiennement. Mais, le huitième jour, Aristide se présenta sur le perron au bas duquel je l’attendais, avec un personnage en uniforme de malade, robe de chambre et couvre-chef en laine marron sale. Je reconnus son voisin de lit. Aristide s’écria :

— Le père Vêtu meurt d’envie de faire un tour en automobile. J’ai pensé que Monsieur ne verrait pas d’inconvénient à ce que je monte avec lui dans le tonneau.