Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/360

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

En outre, vraiment, ne fallait-il pas m’occuper un peu de ma chère Victorine ? Sa tête branlait. Son buste s’inclinait. Ce n’est que par d’énergiques bourrades en pleine poitrine que j’arrivais à la renfoncer dans son coin. Une seconde d’inattention de ma part, et elle passerait par-dessus bord.

Il fallait agir. Il fallait trouver.

Et subitement, à gestes rageurs, de deux coups violents sur les freins, j’arrêtai, net, en quelques mètres…

Ma compagne fut projetée en avant, puis, très doucement, glissa par-dessus bord.

Mais l’homme, du moins… avais-je réussi ?

Je sautai de la voiture. Il gisait à terre, inanimé. J’avais trop bien réussi.

Nous étions en rase campagne. À perte de vue, pas un paysan. Une ferme très loin. Un clocher plus loin encore.

Sur la route l’homme évanoui, près de sa bicyclette tordue. À côté, sa femme évanouie.

…À ce moment elle poussa quelques gémissements. Je m’approchai. Elle ouvrit les yeux, puis les referma…

Il n’y avait pas d’hésitation possible. Remonter dans mon automobile, et filer en toute hâte, non pas pour soigner ma chère Victorine, dont l’état ne m’inspirait aucune inquiétude, mais pour la tirer de ce mauvais pas, je n’avais pas d’autre parti à prendre.

J’en pris un fort différent.

Je me penchai sur l’homme. Du sang coulait de son front. Je l’essuyai avec mon mouchoir et distinguai ses traits. Il était jeune et de figure agréable. Mais quelle pâleur ! Il lui eût fallu des soins, à lui, de l’eau fraîche, un docteur…

Je le soulevai dans mes bras et le portai dans l’automobile, à la place qu’avait occupée sa femme. Puis j’allai vers elle et je l’installai confortablement sur le