Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/364

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il y a dans ma mémoire, vers la dernière heure, une lacune. J’avance, j’avance, mais comme en rêve. Je tombe, je me relève, mais comme si tout cela se passait dans un cauchemar. Je n’y vois plus, je ne sens plus.

Cependant la jolie maison blanche est dans mon Souvenir ce jour-là. Je l’aperçois au loin, attirante et mystérieuse. La voici. J’approche. J’arrive… et puis… tout tourne… tout se brouille dans mon cerveau… je ne sais plus…

Des heures se sont écoulées. J’ouvre les yeux. Il me semble que je sors d’un long, d’un très long sommeil. Et de fait, autour de moi, je reconnais le cadre familier de la petite chambre que j’occupe d’ordinaire à Thibermesnil, les rideaux d’andrinople, les vieux meubles disgracieux qui datent, de Louis-Philippe.

Et je reconnais aussi tante Suzanne. Elle est assise dans un fauteuil et elle brode. Son doux visage se tourne vers moi. Elle sourit.

— Allons, grand paresseux, il est six heures du soir et tu es encore au lit ! Dépêchons-nous, je t’attends dans la salle à manger.

Cinq minutes après, je la rejoignis. Le dîner était prêt. J’y fis grand honneur.

Il n’y eut aucune explication entre nous. Elle me dit simplement, qu’elle avait télégraphié à ma mère pour la rassurer, et que nous allions partir en voiture. Elle me reconduisait.

Nous ne parlâmes plus. De temps à autre, je la regardais gravement. Elle souriait, les joues un peu plus roses que d’habitude, Un peu d’émotion se dégageait de notre silence.

Le retour en voiture fut délicieux. Pas un mot ne fut prononcé. Au-dessus de nous le grand ciel profond s’éclairait