Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/379

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Elle dut céder. Mais par quelles heures atroces passa la malheureuse ! Pour elle, c’était une affaire réglée. Les choses mystérieuses ne donnent pas leur avis avec tant de précision sans des motifs sérieux. Elle regardait Victor avec des yeux pleins de larmes et une grande pitié. À son âge ! en pleine santé ! Quelle catastrophe ! Pour un peu elle eût commandé des vêtements de deuil.

Elle passa les deux derniers jours à l’auberge de Cordat, où la maison Beuzeville-Bréauté avait établi son quartier général. Elle les passa en pleurs et en prières. Victor Danjou, absolument déballé par son chagrin, avait fini par ne plus douter d’une issue fatale. Il regardait son automobile avec le regard désespéré d’un homme qui contemplerait son cercueil. Il partit la mort dans l’âme.

Catherine hésita longtemps avant de se poster sur le parcours. Sa présence serait-elle pour son mari une cause de chance ou de guigne ? Hésitation absurde, puisque le dénouement était connu d’avance. Un seul devoir importait : être là quand son mari aurait besoin de ses soins, le tenir dans ses bras, étancher son sang, adoucir ses derniers moments…

Le circuit comptait plus de cent trente kilomètres. Mais un pressentiment lui ordonna de se tenir au virage d’Arbur, à ce terrible tournant en descente qui précède la ligne de l’arrivée. C’était inévitablement en cet endroit que l’accident aurait lieu.

Il n’eut pas lieu au premier tour. Son mari, maître déjà de cinq de ses concurrents, vira le huitième, et sans le moindre accroc.

Au second tour, Victor avait encore gagné deux places, et le doute n’était Pas possible : son temps était de beaucoup le meilleur, la course lui appartenait.