Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/399

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la mémoire, et nous nous rappelons l’enthousiasme du public lorsque Lepreux gagna la première manche, son désappointement lorsqu’il fut battu d’un quart de roue à la seconde manche, et les ovations interminables qui saluèrent le triomphe définitif du nouveau champion.

Mais quel étonnement pour M. Lesuper ! cette foule exaltée ! ces chapeaux qui s’agitaient ! ces hurlements de joie !

Et tout cela pour son fils, en l’honneur de son fils !

Malgré lui il passait par les mêmes émotions que la foule, il souffrit de la défaite, il applaudit, il cria d’allégresse après la victoire.

Et lorsqu’un groupe de jeunes gens se rua sur Horace et le porta jusqu’au quartier des coureurs en l’acclamant, des larmes mouillèrent les yeux de M. Lesuper.

Il n’y résista, pas. Il alla, lui aussi, vers la cabine où l’on s’entassait. De nature peu sentimentale, il ne serra point son fils contre lui pour l’embrasser, mais il lui pressa les mains fortement.

Et, un instant plus tard, ils partirent ensemble, en voiture. Et Horace, dans l’ivresse de son triomphe, riant, bégayant, lui disait :

« — Ça y est… c’est le succès, c’est l’argent… les gros prix… toute la boutique, quoi ! Et alors, sais-tu ce que tu devrais faire ? Je suis seul, pas de femme, pas d’ami sur qui je puisse compter… Eh bien, qui t’empêche ?… Tu perds ton temps là-bas, tu t’éreintes dans un métier qui ne rapporte rien… lâche donc tout ça ! Tu t’occuperas de mes engagements, tu correspondras, tu signeras… bref tu seras mon manager, une position que plus d’un guigne déjà, je t’en réponds ! Ça te va-t-il ? Non, mettons qu’il n’y ait rien de dit. Seulement tu voudras bien garder l’argent, n’est-ce pas ? Je t’enverrai tout ce que je pourrai… de jolies sommes maintenant ! Tu te paieras des douceurs avec, et tu placeras le reste à ta guise… »