Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/424

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plus atroce encore. Ou bien, de petits gémissements… Et les yeux de tous ces êtres ! Et leurs bouches tordues ! Et leurs visages blêmes !

Pauvres jeunes filles dont j’ai senti la dernière convulsion… Pauvres mères… Et tout cela souffrait, criait, pleurait, râlait. Et tout cela est mort. Ils étaient, et ils ne sont plus, et ils ne seront plus jamais. C’est fini. Leurs chairs pourrissent.

Et alors… et alors il se passe ceci, qu’en face de la mort je me mets peu à peu à aimer de nouveau la vie. La vie est meilleure peut-être. L’autre est si noire, si affreuse. Il y a de bonnes heures dans la vie. On respire, on sourit, on rêve, on se rappelle, on espère. Mais quand on est mort ?…

Oui, le goût de la vie revient en moi, comme les forces au convalescent. La vie a son charme. Certes, je ne l’aime pas. Mais que je voie encore sous mes yeux des corps se raidir, des regards s’éteindre, et que j’entende encore le râle sourd de l’agonie, et que je devine le supplice des moribonds, leur angoisse suprême, j’aimerai la vie, j’aimerai la vie, et je vivrai !

… Bois de Vincennes. Deux jeunes gens. Oh ! la mort, c’est la grande ennemie…

Maurice LEBLANC.