Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/43

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Après vingt minutes à grande allure, comme il ne se passait rien d’anormal et que ma nouvelle patronne gardait un silence farouche, je me rassurai. Je cherchai même à savourer ce que ma situation avait d’original et de romanesque, à m’enivrer du vertige de la vitesse. Mais, en réalité, aucune de ces belles émotions ne me pénétra, car je grelottais. Quel diable d’homme pouvait bien être ce maudit mécanicien pour se contenter de ce pardessus ridicule, à peine doublé et qui ne cachait même pas les jambes ! L’onglée martyrisait mes doigts. Je ne pouvais plus ouvrir les yeux. Et de cette promenade miraculeuse qui dura bien, hélas ! une bonne heure, je ne garde qu’un souvenir atroce de froid, de dents qui claquent, de pieds gelés et d’oreilles coupées par une bise furieuse. Mon supplice aurait duré quelques minutes de plus que, vraiment, j’eusse demandé grâce.

Heureusement il cessa. Au bas d’une longue côte, nous franchîmes une grille et filâmes le long des allées obscures d’un grand parc. J’avais mon plan : dès que le ralentissement de la voiture le permettrait, je sauterais à terre et m’enfuirais vers quelque auberge. Plus tard, sachant le nom du château, le nom de l’inconnue, je trouverais un moyen quelconque pour me faire présenter et je la verrais, enfin, je la verrais !

Les choses se passèrent tout autrement. La voiture contourna le château, traversa une large cour pleine de gens armés de lanternes et de torches, et, par un tournant brusque, pénétra dans une étroite remise où il n’y avait place que pour elle. L’arrêt fut immédiat. Immédiatement aussi, et avec une rapidité qui