Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/435

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— Certes, lui dis-je, je ne connais rien qui vaille la sensation de cette dégringolade vertigineuse au flanc d’une montagne. C’est la vitesse la plus grisante, la plus facile en même temps. Mais j’avoue que c’est un peu bref, et que, quand je suis arrivé tout en bas, et qu’il me faut prendre, pour remonter à Caux, le train des lugeurs, mon enthousiasme est singulièrement refroidi.

— Ah ! s’écria-t-il, comme tu es bien Français ! Il vous faut toujours vos aises. Vous n’aimez que le commode, ce qui ne coûte pas de peine. Vous craignez tout ce qui est violent, âpre, excessif. Pourquoi votre beau monde de Paris a-t-il abandonné la bicyclette pour l’automobile, sinon parce que l’une nécessite autant d’efforts et de persévérance que l’autre en exige peu ?

— Mais n’es-tu pas Français ?

— Je l’ai été.

— Allons donc !

— Je me suis fait naturaliser Anglais.

— Pas possible ?

Il me prit le bras et me dit :

— Mon cher, quand on n’a qu’un but, qu’une idée et qu’une joie, le sport, on est Anglais ou bien l’on renonce au sport. Seul, ce peuple-là connaît, comprend, aime et pratique le sport. C’est un instinct national. Vous autres, vous vous amusez à faire du sport, eux ils le vivent, ils le respirent. Ils l’aiment, comme vous aimez… comme vous aimez la femme, par exemple.

— On peut aimer l’un et l’autre, hasardai-je.

— Ah ! voilà, s’écria-t-il, voilà bien votre erreur et votre faiblesse de mêler deux sentiments tout à fait indépendants. Encore un des motifs de votre engouement pour l’automobile : c’est un sport où la femme peut vous suivre ! Elle se promène avec vous, elle voyage avec vous. La femme, toujours la femme !