Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/439

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— Qu’est-ce que vous avez donc, Paul ? Nous marchons beaucoup trop vite. Et puis voilà deux fois que je frappe. Vous n’entendez donc pas ?

Ces dernières paroles s’étranglèrent dans sa gorge. Un phénomène incompréhensible la bouleversait ; elle n’était pas absolument sûre que l’homme qui Se trouvait sur le siège fût son chauffeur Paul. Et à peine eut-elle conçu un doute que ce doute se changea immédiatement en une certitude effarante. Non, ce n’était pas Paul. C’était bien la livrée gros-bleu de Paul, et son képi de drap, mais Paul n’avait point cette coupe de cheveux, ni cette forme d’épaules, ni cette tenue générale. Enfin, ce n’était pas lui.

Haletante de terreur, elle ne bougea pourtant point. Elle n’osait pas, elle sentit qu’elle n’oserait jamais adresser un seul mot à cet homme. Qui était-ce ? Que voulait-il ? Où l’emmenait-il ?

Elle jeta un coup d’œil sur la portière. Descendre ? Mais c’eût été de l’aberration. On marchait maintenant à toute vitesse. Et puis pourquoi n’avait-il pas allumé les phares ? Pourquoi ne les allumait-il pas ? La nuit, l’épaisse nuit jetait devant la voiture mille obstacles. Elle fut sur le point de le supplier. Qu’il ralentisse ! Qu’il arrête ! Elle lui eût volontiers promis de ne pas s’enfuir… elle resterait… elle obéirait à tout, pourvu que l’on ralentît ! Mais, malgré ses efforts, elle ne put parler. Elle avait peur ! Oh ! comme elle avait peur !

Quelle route suivaient-ils ? On avait traversé Boulogne, et Saint-Cloud, et Ville-d’Avray. Mais au lieu de continuer du côté de Versailles, voici que la voiture escalada une rampe vers la droite, et l’on passa des villages qu’elle ne reconnut pas, et toujours à cette allure désordonnée.