Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/44

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me prit au dépourvu, l’inconnue descendit et s’éloigna. Je courus aussitôt. Trop tard. Les deux battants de la porte, violemment poussés, se dressèrent devant moi. J’entendis le double grincement de la clef dans la serrure. J’étais enfermé.

Ma stupeur fut telle que je me mis à crier, comme si l’on m’avait oublié là par mégarde. Rageusement je cognai des deux poings à la porte, puis je fis le tour de ma prison en frappant les murs. Aucune issue. Mais alors — et cette idée m’apparut enfin — mais alors l’inconnue s’était donc avisée de mon stratagème ? Comment ? À quel signe ? Par quel geste, par quelle inadvertance m’étais-je trahi ? Et d’un autre côté pourquoi avait-elle agi de la sorte ? Étais-je un malfaiteur dont elle croyait avoir déjoué les manœuvres, ou bien un soupirant trop curieux dont elle avait remarqué le manège depuis un mois et qui, pris au piège, subissait la peine de son indiscrétion ? En tout cas, que de sang-froid et de présence d’esprit elle avait montré ! Pas un cri, pas un mot, pas une hésitation, rien qui révélât son inquiétude, et soudain, comme par, un coup de baguette, l’intrus se trouvait entre quatre murs, penaud, effaré et grelottant.

Ah ! grelottant surtout ! J’avais eu si froid que je ne parvenais pas à me réchauffer. Que serait-ce à la fin de la nuit que je m’attendais à passer dans cette demeure inhospitalière ? Désespéré, je repris ma place sur le siège, couvris mes pauvres pieds avec les coussins de la voiture, et, recroquevillé sur moi-même, j’attendis mélancoliquement. Une heure s’écoula. Quelle torture ! Je souffrais la mort. Se pouvait-il qu’elle fût assez cruelle ?…

Un bruit de pas… un bruit de clefs… Les gendarmes, pensai-je. N’importe, tout valait mieux… Mais non, ce fut un domestique en livrée qui apparut. Raide, compassé, il me dit d’un ton solennel :

— Madame la comtesse fait demander à Monsieur si Monsieur veut bien lui faire l’honneur de souper à sa table ?