Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/455

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J’eus un élan de tout mon être vers elle, et je murmurai violemment :

— Oh ! cela, oui, mourir avec vous… Ne pas tromper, ne pas mentir… mais mourir… cela je l’accepterais.

— Sans regrets ? franchement ?

— Franchement… et joyeusement.

Sur la place de l’Église un troupeau de moutons passa. Des hirondelles rayaient le ciel bleu. Une cloche grêle tinta. Je n’oublierai jamais, je n’oublierai jamais ces bruits, ces visions. Madeleine et moi, nous nous regardions comme des êtres qui ne doivent plus se revoir. Instant solennel, j’en eus l’intuition profonde et angoissante. Je la vis qui frissonnait. Elle avait des yeux ardents, brillant d’une flamme singulière, inquiétants. Et je frissonnai à mon tour, anxieux, terrifié.

— Eh bien, vous ne venez pas ? Je suis prêt, s’écria Paul.

Nous le rejoignîmes. À voix basse, je disais à Madeleine :

— Je vous aime… Je vous aime plus que ma vie.

— Plus que la vie, répétait-elle… plus que la vie…

Notre voiture était une limousine de trente chevaux. Paul, amateur passionné d’automobile, n’avait pas voulu emmener de mécanicien. Quelquefois je m’asseyais à ses côtés. Le plus souvent, Madeleine et moi, nous prenions place dans le fond. Je fus donc très étonné quand elle dit à son mari :

— Je vais me mettre à côté de toi… ton ami m’excusera, mais j’ai besoin d’air.

— À ta guise, répondit-il, Seulement, tu sais, silence… je n’aime pas beaucoup causer en conduisant.

Elle s’assit et l’on partit.