Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/496

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le jour même nous choisissions une route propice. Je donne à mon élève les conseils d’usage : il enfourche la bicyclette, j’empoigne la selle d’une main, le guidon de l’autre. Premiers zigzags… Première chute… On recommence… ça ne va pas. On s’acharne… ça ne va pas mieux. Au bout de deux heures, essoufflé, ruisselant, Donnay me dit :

— Y a-t-il plus de huit minutes ?

— Oh non ! loin de là ! Seulement tu n’es pas encore sûr de toi.

— Je suis absolument sûr de moi. C’est ma bicyclette qui n’est pas sûre d’elle. Du reste, je l’ai remarqué, elle à une roue qui est tout à fait folle. Dans ces conditions…

Le lendemain, nouvelle tentative, même insuccès. Et huit jours de suite, entre les talus des routes normandes, Nous courûmes, suâmes et nous efforçâmes… en vain.

Le neuvième jour Donnay s’écria :

— Décidément Jupiter s’y oppose. Si j’insistais il serait capable de me faire rater mon deuxième acte de Lysistrata.

— Et alors ?

— Alors je renonce à la bicyclette, à sa pompe et à ses pneus.

Et nous reprîmes nos promenades pédestres.

Je dois dire cependant que, l’autre soir, Maurice Donnay a prétendu devant moi qu’il se livrait, l’été, aux charmes de la bicyclette. Mais je n’en crois rien. Parce que l’on a le talent le plus exquis, qu’on est un des maîtres du théâtre contemporain et qu’on détient le record des centièmes, ce n’est pas là des raisons pour être un cycliste. Or, Donnay, j’en ai la preuve, n’est pas un cycliste. Ses aptitudes sont celles d’un footman, d’un alpiniste. Il regarde le mont Blanc dans les yeux. Il a le culte de la marche, c’est un marcheur, un pieux marcheur. Ce n’est pas un cycliste.

Essaierons-nous de tirer une leçon de ces deux cas particuliers ? Ma foi, non.