Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/54

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est là, sur le bord de la route, inanimée. Au front, un petit filet de sang coule sur la face livide. Je me penche. Elle est morte…

Eh bien, voici ce que j’ai fait, machinalement presque, mais résolument : je l’ai portée dans un fourré voisin et ensevelie sous un amas de branches et de feuilles, je suis revenu sur la route, avec l’aide des premiers paysans qui passèrent j’ai dégagé ma voiture du talus où elle avait pénétré sans trop de dommage… et je suis reparti…

Oui, reparti vers l’Ouest, vers la Bretagne, vers la Vendée. Et durant des semaines je n’ai pas ouvert un journal, et je n’ai parlé à personne. Et de la sorte je ne sais pas, et je ne saurai jamais qui est la pauvre créature dont J’ai pris la vie.

Et elles non plus, les petites filles qui attendaient là-bas, ne savent point, et lui non plus le mari, et peut-être ainsi le doute mêle-t-il à leur douleur quelque espérance. Mais apprendre leur nom, les voir, leur révéler l’épouvantable vérité, m’expliquer sur ce drame en leur présence, sous leur regard éperdu, non, non, je ne pourrais pas…

Maurice LEBLANC.